Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/217

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Un petit laquais nous ouvrit la porte, et nous fit entrer dans une salle basse, où la femme de chambre d’Arsénie et celle de Florimonde riaient à gorge déployée en s’entretenant ensemble, tandis que leurs maîtresses étaient en haut avec nos maîtres.

L’arrivée de deux vivants qui venaient de bien souper ne pouvait pas être désagréable à des soubrettes, et à des soubrettes de comédiennes encore : mais quel fut mon étonnement lorsque dans une de ces suivantes je reconnus ma veuve, mon adorable veuve, que je croyais comtesse ou marquise ! Elle ne parut pas moins étonnée de voir son cher don César de Ribera changé en valet de petit-maître. Nous nous regardâmes toutefois l’un et l’autre sans nous déconcerter ; il nous prit même à tous deux une envie de rire, que nous ne pûmes nous empêcher de satisfaire. Après quoi Laure (c’est ainsi qu’elle s’appelait), me tirant à part tandis que Clarin parlait à sa compagne, me tendit gracieusement la main, et me dit tout bas : Touchez là, seigneur don César ; au lieu de nous faire des reproches réciproques, faisons-nous des compliments, mon ami ! Vous avez fait votre rôle à ravir, et je ne me suis point mal non plus acquittée du mien. Qu’en dites-vous ? Avouez que vous m’avez prise pour une de ces jolies femmes de qualité qui se plaisent à faire des équipées ? Il est vrai, lui répondis-je, mais qui que vous soyez, ma reine, je n’ai point changé de sentiment en changeant de forme. Agréez, de grâce, mes services, et permettez que le valet de chambre de don Mathias achève ce que don César a si heureusement commencé. Va, reprit-elle, je t’aime encore mieux dans ton naturel qu’autrement. Tu es en homme ce que je suis en femme : c’est la plus grande louange que je puisse te donner. Je te reçois au nombre de mes adorateurs. Nous n’avons plus besoin du ministère de la vieille : tu peux venir ici me voir librement : Nous autres dames de théâtre, nous vivons sans contrainte et pêle-mêle avec les hommes.