Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la générosité de ce monarque, je ne perdais pas une occasion de lui en témoigner ma reconnaissance par mon assiduité. J’étais devant lui à toutes les heures où il est permis de se présenter à ses regards. Par cette conduite, je me fis insensiblement aimer de ce prince, et j’en reçus de nouveaux bienfaits.

Un jour que je me distinguai dans une course de bague et dans un combat de taureaux[1] qui la précéda, toute la cour loua ma force et mon adresse ; et lorsque comblé d’applaudissements, je fus de retour chez moi, j’y trouvai un billet par lequel on me mandait qu’une dame, dont la conquête devait plus me flatter que tout l’honneur que je m’étais acquis ce jour-là, souhaitait de m’entretenir, et que je n’avais, à l’entrée de la nuit, qu’à me rendre à certain lieu qu’on me marquait. Cette lettre me fit plus de plaisir que toutes les louanges qu’on m’avait données, et je m’imaginai que la personne qui m’écrivait devait être une femme de la première qualité. Vous jugez bien que je volai au rendez-vous. Une vieille, qui m’y attendait pour me servir de guide, m’introduisit par une petite porte du jardin dans une grande maison, et m’enferma dans un riche cabinet, en me disant : Demeurez ici ; je vais avertir ma maîtresse de votre arrivée. J’aperçus bien des choses précieuses dans ce cabinet qu’éclairaient une grande quantité de bougies ; mais je n’en considérai la magnificence que pour me confirmer dans l’opinion que j’avais déjà conçue de la dame. Si tout ce que je voyais semblait m’assurer que ce ne pouvait être qu’une personne du premier rang, quand elle parut elle acheva de me le persuader par son air noble et majestueux. Cependant ce n’était pas ce que je pensais.

Seigneur cavalier, me dit-elle, après la démarche

  1. Les courses de bague et les combats de taureaux étaient les divertissements et les spectacles favoris des grands et du peuple en Espagne et en Portugal ; mais on n’a pas d’idée qu’il y ait jamais eu des toréadors en Pologne, où le lieu de la scène se trouve transporté.