Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/225

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que je fais en votre faveur, il serait inutile de vouloir vous cacher que j’ai de tendres sentiments pour vous. Le mérite que vous avez fait paraître aujourd’hui devant toute la cour ne me les a point inspirés ; il en précipite seulement le témoignage. Je vous ai vu plus d’une fois ; je me suis informée de vous, et le bien qu’on m’en a dit m’a déterminée à suivre mon penchant. Ne croyez pas, poursuivit-elle, avoir fait la conquête d’une altesse ; je ne suis que la veuve d’un simple officier des gardes du roi : mais ce qui rend votre victoire glorieuse, c’est la préférence que je vous donne sur un des plus grands seigneurs du royaume. Le prince de Radzivill m’aime, et n’épargne rien pour me plaire. Il n’y peut toutefois réussir, et je ne souffre ses empressements que par vanité.

Quoique je visse bien à ce discours que j’avais affaire à une coquette, je ne laissai pas de savoir bon gré de cette aventure à mon étoile. Dona Hortensia (c’est ainsi que se nommait la dame) était encore dans sa première jeunesse, et sa beauté m’éblouit. De plus, on m’offrait la possession d’un cœur qui se refusait aux soins d’un prince : quel triomphe pour un cavalier espagnol ! Je me prosternai aux pieds d’Hortense pour la remercier de ses bontés. Je lui dis tout ce qu’un homme galant pouvait lui dire, et elle eut lieu d’être satisfaite des transports de reconnaissance que je fis éclater. Aussi nous séparâmes-nous tous deux les meilleurs amis du monde, après être convenus que nous nous verrions tous les soirs que le prince ne pourrait venir chez elle ; ce qu’on promit de me faire savoir très exactement. On n’y manqua pas, et je devins enfin l’Adonis de cette nouvelle Vénus.

Mais les plaisirs de la vie ne sont pas d’éternelle durée. Quelques mesures que prît la dame pour dérober la connaissance de notre commerce à mon rival, il ne laissa pas d’apprendre tout ce qu’il nous importait fort qu’il ignorât : une servante mécontente le mit au fait.