Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/28

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Après m’être si avantageusement défait de ma mule, l’hôte me mena chez un muletier qui devait partir le lendemain pour Astorga. Ce muletier me dit qu’il partirait avant le jour, et qu’il aurait soin de me venir réveiller. Nous convînmes du prix tant pour le louage d’une mule que pour ma nourriture ; et quand tout fut réglé entre nous, je m’en retournai vers l’hôtellerie avec Corcuelo qui, chemin faisant, se mit à me raconter l’histoire de ce muletier. Il m’apprit tout ce qu’on en disait dans la ville. Enfin, il allait de nouveau m’étourdir de son babil importun, si par bonheur un homme assez bien fait ne fût venu l’interrompre en l’abordant avec beaucoup de civilité. Je les laissai ensemble, et continuai mon chemin, sans soupçonner que j’eusse la moindre part à leur entretien.

Je demandai à souper dès que je fus dans l’hôtellerie. C’était un jour maigre. On m’accommoda des œufs. Pendant qu’on me les apprêtait, je liai conversation avec l’hôtesse, que je n’avais point encore vue. Elle me parut assez jolie ; et je trouvai ses allures si vives, que j’aurais bien jugé, quand son mari ne me l’aurait pas dit, que ce cabaret devait être fort achalandé. Lorsque l’omelette qu’on me faisait fut en état de m’être servie, je m’assis tout seul à une table. Je n’avais pas encore mangé le premier morceau, que l’hôte entra, suivi de l’homme qui l’avait arrêté dans la rue. Ce cavalier portait une longue rapière, et pouvait bien avoir trente ans. Il s’approcha de moi d’un air empressé. Seigneur écolier, me dit-il, je viens d’apprendre que vous êtes le Seigneur Gil Blas de Santillane, l’ornement d’Oviédo et le flambeau de la philosophie. Est-il bien possible que vous soyez ce savantissime, ce bel esprit dont la réputation est si grande en ce pays-ci ? Vous ne savez pas, continua-t-il en s’adressant à l’hôte et à l’hôtesse, vous ne savez pas ce que vous possédez. Vous avez un trésor dans votre maison. Vous voyez dans ce jeune gentilhomme la huitième merveille du monde. Puis, se