Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/305

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qu’à une pareille réponse. Elle éleva ses regards vers le ciel, se mordit les lèvres, et pendant quelque temps sa contenance rendit témoignage des peines de son cœur. Puis, tout à coup, m’adressant la parole : Mon ami, me dit-elle, don Luis est-il devenu fou depuis notre séparation ? Je ne comprends rien à son procédé. Apprenez-moi, si vous le savez, pourquoi il m’écrit si galamment. Quel démon peut l’agiter ? S’il veut rompre avec moi, ne saurait-il le faire sans m’outrager par des lettres si brutales ?

Madame, lui dis-je en affectant un air plein de sincérité, mon maître a tort assurément : mais il a été en quelque façon forcé de le faire. Si vous me promettiez de garder le secret, je vous découvrirais tout le mystère. Je vous le promets, interrompit-elle avec précipitation ; ne craignez point que je vous commette : expliquez-vous hardiment. Eh bien ! repris-je, voici le fait en deux mots. Un moment après votre lettre reçue, il est entré dans notre hôtel une dame couverte d’une mante des plus épaisses. Elle a demandé le seigneur Pacheco, lui a parlé quelque temps en particulier ; et, sur la fin de la conversation, j’ai entendu qu’elle lui a dit : Vous me jurez que vous ne la reverrez jamais ; ce n’est pas tout, il faut, pour ma satisfaction, que vous lui écriviez tout à l’heure un billet que je vais vous dicter : j’exige cela de vous. Don Luis a fait ce qu’elle désirait ; puis, me mettant le papier entre les mains : Informe-toi, m’a-t-il dit, où demeure le docteur Murcia de la Llana, et fais adroitement tenir ce poulet à sa fille Isabelle.

Vous voyez bien, madame, poursuivis-je, que cette lettre désobligeante est l’ouvrage d’une rivale, et que, par conséquent, mon maître n’est pas si coupable. Ô ciel ! s’écria-t-elle, il l’est encore plus que je ne pensais. Son infidélité m’offense plus que les mots piquants que sa main a tracés. Ah ! l’infidèle, il a pu former d’autres nœuds !… Mais, ajouta-t-elle en prenant un air fier, qu’il s’abandonne sans contrainte à son nouvel amour ;