Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faires fort sérieuses. Il a un véritable chagrin de ne pouvoir se rendre ici ; il m’a chargé de vous le dire, aussi bien qu’à dona Aurora. Oh ! je ne reçois point ses excuses, dit ma maîtresse en plaisantant ; il sait que j’ai été indisposée ; il devait marquer un peu plus d’empressement pour les personnes à qui le sang le lie. Pour le punir, je ne le veux voir de quinze jours. Eh ! madame, dit alors don Luis, ne formez point une si cruelle résolution ; don Félix est assez à plaindre de ne vous avoir pas vue.

Ils plaisantèrent quelque temps là-dessus ; ensuite Pacheco se retira. La belle Aurore change aussitôt de forme et reprend son habit de cavalier. Elle retourne à l’hôtel garni le plus promptement qu’il lui est possible. Je vous demande pardon, cher ami, dit-elle à don Luis, de ne vous avoir pas été trouver chez ma tante ; mais je n’ai pu me défaire des personnes avec qui j’étais. Ce qui me console, c’est que vous avez eu du moins tout le loisir de satisfaire vos désirs curieux. Eh bien ! que pensez-vous de ma cousine ? dites-le-moi sans complaisance. J’en suis enchanté, répondit Pacheco. Vous aviez raison de dire que vous vous ressemblez tous deux. Je n’ai jamais vu de traits plus semblables ; c’est le même tour de visage ; vous avez les mêmes yeux, la même bouche, le même son de voix. Il y a pourtant quelque différence : Aurore est plus grande que vous ; elle est brune, et vous êtes blond ; vous êtes enjoué, elle est sérieuse : voilà tout ce qui vous distingue l’un de l’autre. Pour de l’esprit, continua-t-il, je ne crois pas qu’une substance céleste puisse en avoir plus que votre cousine. En un mot, c’est une personne d’un mérite infini.

Le seigneur Pacheco prononça ces dernières paroles avec tant de vivacité, que don Félix lui dit en souriant : Ami, je me repens de vous avoir fait faire connaissance avec dona Ximena ; et si vous m’en croyez, vous n’irez plus chez elle : je vous le conseille pour votre