Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/368

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vieillard en tirant de sa poche une bourse, voici cent pistoles dont vous pouvez disposer. Oh ! monsieur, s’écria Morales, mon maître ne voudra point les accepter. Vous ne le connaissez pas. Tudieu ! c’est un homme délicat sur cette matière. Ce n’est point un de ces enfants de famille qui sont prêts à prendre de toutes mains. Il n’aime pas à s’endetter, tout jeune qu’il est. Il demanderait plutôt l’aumône que d’emprunter un maravédis. Tant mieux, dit le bourgeois, je l’en estime davantage. Je ne puis souffrir que l’on contracte de dettes. Je pardonne cela aux personnes de qualité, parce que c’est une chose dont elles sont en possession. Je ne veux pas, ajouta-t-il, contraindre ton maître ; et, si c’est lui faire de la peine que de lui offrir de l’argent, il n’en faut plus parler. En disant ces paroles, il voulut remettre la bourse dans sa poche ; mais mon compagnon lui retint le bras. Attendez, seigneur de Moyadas, lui dit-il : quelque aversion que mon maître ait pour les emprunts, je ne désespère pas de lui faire agréer vos cent pistoles. Il n’y a que manière de s’y prendre avec lui. Après tout, ce n’est que des étrangers qu’il n’aime point à emprunter ; il n’est pas si façonnier avec sa famille. Il demande même fort bien à son père tout l’argent dont il a besoin. Ce garçon, comme vous voyez, sait distinguer les personnes, et il doit vous regarder, monsieur, comme un second père.

Morales, par de semblables discours, s’empara de la bourse du vieillard, qui vint nous rejoindre, et qui nous trouva, sa fille et moi, engagés dans les compliments. Il rompit notre entretien. Il apprit à Florentine l’obligation qu’il m’avait ; et sur cela il me tint des propos qui me firent connaître combien il en était reconnaissant. Je profitai d’une si favorable disposition. Je dis au bourgeois que la plus touchante marque de reconnaissance qu’il pût me donner était de hâter mon mariage avec sa fille. Il céda de bonne grâce à mon impatience. Il m’assura que, dans trois jours au plus tard, je serais