Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/378

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furent placés dans d’autres endroits. Pour les hommes, ils songèrent moins à chercher des lits, qu’à se faire apprêter un bon repas. L’hôte, l’hôtesse, et une jeune servante qu’ils avaient, ne s’y épargnèrent point. Ils firent main-basse sur toute la volaille de leur basse-cour. Cela joint à quelques civets de lapins et de matous et à une copieuse soupe aux choux faite avec du mouton, il y en eut pour tout l’équipage.

Nous regardions, Morales et moi, ces cavaliers, qui de temps en temps nous envisageaient aussi. Enfin, nous liâmes conversation, et nous leur dîmes, que, s’ils le voulaient bien, nous souperions avec eux. Ils nous témoignèrent que cela leur ferait plaisir. Nous voilà donc tous à table ensemble. Il y en avait un parmi eux qui ordonnait, et pour qui les autres, quoique d’ailleurs ils en usassent assez familièrement avec lui, ne laissaient pas de marquer des déférences. Il est vrai que celui-là tenait le haut bout : il parlait d’un ton de voix élevé : il contredisait même quelquefois d’un air cavalier les autres qui, bien loin de lui rendre la pareille, semblaient respecter ses opinions. L’entretien tomba par hasard sur l’Andalousie ; et, comme Morales s’avisa de louer Séville, l’homme dont je viens de parler lui dit : Seigneur cavalier, vous faites l’éloge de la ville où j’ai pris naissance ; ou du moins je suis né aux environs, puisque le bourg de Mayrena m’a vu naître. Je vous dirai la même chose, lui répondit, mon compagnon. Je suis aussi de Mayrena, et il n’est pas possible que je ne connaisse point vos parents, moi qui connais depuis l’alcade jusqu’aux dernières personnes du bourg. De qui êtes-vous fils ? D’un honnête notaire, repartit le cavalier, de Martin Morales. De Martin Morales ! s’écria mon camarade avec autant de joie que de surprise ; par ma foi, l’aventure est fort singulière ! vous êtes donc mon frère aîné Manuel Morales ? Justement, dit l’autre ; et vous êtes apparemment, vous, mon petit frère Luis, que je laissai au berceau quand j’abandonnai