Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/409

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auquel il se serait le moins attendu, détruisit ses espérances, comme vous l’allez apprendre.

Je suis naturellement hardi avec les femmes ; j’ai contracté cette habitude, bonne ou mauvaise, chez les Turcs. Lucrèce était belle. J’oubliai que je ne devais faire que le personnage d’ambassadeur. Je parlai pour mon compte. J’offris mes services à la dame, le plus galamment qu’il me fut possible. Au lieu de paraître choquée de mon audace et de me répondre avec colère, elle me dit en souriant : Avouez, don Raphaël, que le grand-duc a fait choix d’un agent fort fidèle et fort zélé ! Vous le servez avec une intégrité qu’on ne peut assez louer. Madame, dis-je sur le même ton, n’examinons point les choses scrupuleusement. Laissons, je vous prie, les réflexions ; je sais bien qu’elles ne me sont pas favorables ; mais je m’abandonne au sentiment. Je ne crois pas, après tout, être le premier confident de prince qui ait trahi son maître en matière de galanterie. Les grands seigneurs ont souvent dans leurs Mercures des rivaux dangereux. Cela se peut, reprit Lucrèce ; pour moi je suis fière, et tout autre qu’un prince ne saurait me toucher. Réglez-vous là-dessus, poursuivit-elle en prenant son sérieux, et changeons d’entretien. Je veux bien oublier ce que vous venez de me dire, à condition qu’il ne vous arrivera plus de me tenir de pareils propos : autrement, vous pourriez vous en repentir.

Quoique cela fût un avis au lecteur, et que je dusse en profiter, je ne cessai point d’entretenir de ma passion la femme de Mascarini. Je la pressai même avec plus d’ardeur qu’auparavant de répondre à ma tendresse, et je fus assez téméraire pour vouloir prendre des libertés. La dame alors, s’offensant de mes discours et de mes manières musulmanes, me rompit en visière. Elle me menaça de faire savoir au grand-duc mon insolence, en m’assurant qu’elle le prierait de me punir comme je le méritais. Je fus piqué de ces menaces à