Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/449

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En disant cela, il conduisit don Alphonse dans un appartement où je m’introduisis après eux avec le baron de Steinbach.

Là était le comte de Polan avec ses deux filles Séraphine et Julie, et don Fernand de Leyva, son gendre, qui était neveu de don César. Il y avait encore d’autres dames et d’autres cavaliers. Don Fernand, comme on l’a dit, avait enlevé Julie, et c’était à l’occasion du mariage de ces deux amants que les paysans des environs s’étaient assemblés ce jour-là pour se réjouir. Sitôt que don Alphonse parut, et que son père l’eut présenté à la compagnie, le comte de Polan se leva et courut l’embrasser, en disant : Que mon libérateur soit le bienvenu ! Don Alphonse, poursuivit-il en lui adressant la parole, connaissez le pouvoir que la vertu a sur les âmes généreuses ! Si vous avez tué mon fils, vous m’avez sauvé la vie. Je vous sacrifie mon ressentiment, et vous donne cette même Séraphine à qui vous avez sauvé l’honneur. Par là je m’acquitte envers vous. Le fils de don César ne manqua pas de témoigner au comte de Polan combien il était pénétré de ses bontés, et je ne sais s’il eut plus de joie d’avoir découvert sa naissance, que d’apprendre qu’il allait devenir l’époux de Séraphine. Effectivement ce mariage se fit quelques jours après, au grand contentement des parties les plus intéressées.

Comme j’étais aussi un des libérateurs du comte de Polan, ce seigneur, qui me reconnut, me dit qu’il se chargeait du soin de faire ma fortune : mais je le remerciai de sa générosité, et je ne voulus point quitter don Alphonse, qui me fit intendant de sa maison et m’honora de sa confiance. À peine fut-il marié, qu’ayant sur le cœur le tour qui avait été fait à Samuel Simon, il m’envoya porter à ce marchand tout l’argent qui lui avait été volé. J’allai donc faire une restitution : c’était commencer le métier d’intendant par où l’on devrait le finir.