Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/10

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punie de m’être indignement abaissée jusqu’à un malheureux aventurier.

Elle n’en demeura pas là ; j’en aurais été quitte à trop bon marché. Sa langue, cédant à la fureur, me donna cent épithètes qui enchérissaient les unes sur les autres. Je sais bien que j’aurais dû les recevoir de sang-froid, et faire réflexion qu’en dédaignant le triomphe d’une vertu que j’avais tentée, je commettais un crime que les femmes ne pardonnent point. Mais j’étais trop vif pour souffrir des injures dont un homme sensé n’aurait fait que rire à ma place, et la patience m’échappa. Madame, lui dis-je, ne méprisons personne. Si ces nobles cavaliers dont vous parlez vous avaient vu le dos, je suis sûr qu’ils borneraient là leur curiosité. Je n’eus pas sitôt lancé ce trait, que la furieuse duègne m’appliqua le plus rude soufflet qu’ait jamais donné femme outragée. Je n’en attendis pas un second, et j’évitai par une prompte fuite une grêle de coups qui seraient tombés sur moi.

Je rendais grâce au ciel de me voir hors de ce mauvais pas, et je m’imaginais n’avoir plus rien à craindre, puisque la dame s’était vengée. Il me semblait que, pour son honneur, elle devait taire l’aventure : effectivement quinze jours s’écoulèrent sans que j’en entendisse parler. Je commençais moi-même à l’oublier, quand j’appris que Séphora était malade. Je fus assez bon pour m’affliger de cette nouvelle. J’eus pitié de la dame. Je pensai que, ne pouvant vaincre un amour si mal payé, cette malheureuse amante y avait succombé. Je me représentais avec douleur que j’étais la cause de sa maladie, et je plaignais du moins la duègne, si je ne pouvais l’aimer. Que je jugeais mal d’elle ! Sa tendresse changée en haine ne songeait alors qu’à me nuire.

Un matin que j’étais avec don Alphonse, je trouvai ce jeune cavalier triste et rêveur. Je lui demandai respectueusement ce qu’il avait. Je suis chagrin, me dit-il, de voir Séraphine faible, injuste, ingrate. Cela vous