Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/14

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malade : j’y serai encore trois semaines, après quoi je partirai pour me rendre à mon château de Lorqui, où j’ai laissé Julie. Je demeure dans cette maison, poursuivit-il, en me montrant un hôtel qui était à cent pas de nous. Venez me trouver dans quelques jours ; je vous aurai peut-être déjà déterré un poste convenable.

Effectivement, dès la première fois que nous nous revîmes, il me dit : Monsieur l’archevêque de Grenade, mon parent et mon ami, voudrait avoir près de lui un homme qui eût de la littérature et une bonne main pour mettre au net ses écrits ; car c’est un grand auteur. Il a composé je ne sais combien d’homélies, et il en fait encore tous les jours qu’il prononce avec applaudissement. Comme je vous crois son fait, je vous ai proposé, et il m’a promis de vous prendre. Allez vous présenter à lui de ma part ; vous jugerez, par la réception qu’il vous fera, si je lui ai parlé de vous avantageusement.

La condition me parut telle que je la pouvais désirer. Ainsi, m’étant préparé de mon mieux à paraître devant le prélat, je me rendis un matin à l’archevêché. Si j’imitais les faiseurs de romans, je ferais une pompeuse description du palais épiscopal de Grenade ; je m’étendrais sur la structure du bâtiment ; je vanterais la richesse des meubles ; je parlerais des statues et des tableaux qui y étaient ; je ne ferais pas grâce au lecteur de la moindre des histoires qu’ils représentaient : mais je me contenterai de dire qu’il égalait en magnificence le palais de nos rois.

Je trouvai dans les appartements un peuple d’ecclésiastiques et de gens d’épée, dont la plupart étaient des officiers de monseigneur, ses aumôniers, ses gentilshommes, ses écuyers ou ses valets de chambre. Les laïques avaient tous des habits superbes ; on les aurait plutôt pris pour des seigneurs que pour des domestiques. Ils étaient fiers et faisaient les hommes de conséquence. Je ne pus m’empêcher de rire en les considérant, et de m’en moquer en moi-même. Parbleu,