Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/16

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souhaitais. Je lui dis que j’étais le jeune homme dont le seigneur don Fernand de Leyva lui avait parlé. Il ne me donna pas le temps de lui en dire davantage. Ah ! c’est vous, s’écria-t-il, c’est vous dont il m’a fait un si bel éloge ? Je vous retiens à mon service ; vous êtes une bonne acquisition pour moi. Vous n’avez qu’à demeurer ici. À ces mots, il s’appuya sur deux écuyers et sortit après avoir écouté des ecclésiastiques qui avaient quelque chose à lui communiquer. À peine fut-il hors de la chambre où nous étions, que les mêmes officiers qui avaient dédaigné ma conversation vinrent la rechercher. Les voilà qui m’environnent, qui me gracieusent et me témoignent de la joie de me voir devenir commensal de l’archevêché. Ils avaient entendu les paroles que leur maître m’avait dites, et ils mouraient d’envie de savoir sur quel pied j’allais être auprès de lui ; mais j’eus la malice de ne pas contenter leur curiosité pour me venger de leurs mépris.

Monseigneur ne tarda guère à revenir. Il me fit entrer dans son cabinet pour m’entretenir en particulier. Je jugeai bien qu’il avait dessein de tâter mon esprit. Je me tins sur mes gardes et me préparai à mesurer tous mes mots. Il m’interrogea d’abord sur les humanités. Je ne répondis pas mal à ses questions ; il vit que je connaissais assez les auteurs grecs et latins. Il me mit ensuite sur la dialectique ; c’est où je l’attendais. Il me trouva là-dessus ferré à glace. Votre éducation, me dit-il avec quelque sorte de surprise, n’a point été négligée. Voyons présentement votre écriture. J’en tirai de ma poche une feuille que j’avais apportée exprès. Mon prélat n’en fut pas mal satisfait. Je suis content de votre main, s’écria-t-il, et plus encore de votre esprit. Je remercierai mon neveu don Fernand de m’avoir donné un si joli garçon ; c’est un vrai présent qu’il m’a fait.

Nous fûmes interrompus par l’arrivée de quelques seigneurs grenadins qui venaient dîner avec l’arche-