Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/211

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t-il, ce pauvre prisonnier mourra de douleur quand il apprendra la réponse de Votre Excellence. Le duc ne repartit à mon intercesseur qu’en le regardant de travers et lui tournant le dos. C’est ainsi que ce ministre me traitait, pour mieux cacher la part qu’il avait eue à l’amoureuse intrigue du prince d’Espagne ; et c’est à quoi doivent s’attendre tous les petits agents dont les grands seigneurs se servent dans leurs secrètes et périlleuses négociations.

Lorsque mon secrétaire fut de retour à Ségovie, et qu’il m’eut appris le succès de sa commission, me voilà replongé dans l’abîme affreux où je m’étais trouvé le premier jour de ma prison. Je me crus même encore plus malheureux, puisque je n’avais plus la protection du duc de Lerme. Mon courage s’abattit ; et, quelque chose qu’on me pût dire pour le relever, je redevins la proie des plus vifs chagrins, qui me causèrent insensiblement une maladie aiguë.

Le seigneur châtelain, qui s’intéressait à ma conservation, s’imaginant ne pouvoir mieux faire que d’appeler des médecins à mon secours, m’en amena deux qui avaient tout l’air d’être de grands serviteurs de la déesse Libitine[1]. Seigneur Gil Blas, dit-il en me les présentant, voici deux Hippocrates qui viennent vous voir, et qui vous remettront sur pied en peu de temps. J’étais si prévenu contre tous les docteurs en médecine, que j’aurais certainement fort mal reçu ceux-là, pour peu que j’eusse été attaché à la vie ; mais je me sentais alors si las de vivre, que je sus bon gré à Tordesillas de me vouloir mettre entre leurs mains.

Seigneur cavalier, me dit un de ces médecins, il faut, avant toute chose que vous ayez de la confiance en nous. J’en ai une parfaite, lui répondis-je ; avec votre assistance, je suis sûr que je serai dans peu de jours guéri de tous mes maux. Oui, Dieu aidant, reprit-il,

  1. C’était la déesse qui présidait aux funérailles.