Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/343

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décliné mon nom, que, me saluant avec des marques de considération : Seigneur, me dit-il, suivez-moi, s’il vous plaît ; je vais vous conduire à l’appartement qui vous est destiné dans cet hôtel. Après avoir dit ces paroles, il me mena, par un petit escalier, à une enfilade de cinq à six pièces de plain-pied, qui composaient le second étage d’une aile du logis, et qui étaient assez modestement meublées. Vous voyez, reprit-il, le logement que monseigneur vous donne, et vous y aurez une table de six couverts entretenue à ses dépens. Vous serez servi par ses propres domestiques ; il y aura toujours un carrosse à vos ordres. Ce n’est pas tout, ajouta-t-il ; Son Excellence m’a fortement recommandé d’avoir pour vous les mêmes attentions que si vous étiez de la maison de Guzman.

Que diable signifie tout ceci ? dis-je en moi-même. Comment dois-je prendre ces distinctions ? N’y aurait-il point de la malice là-dedans, et ne serait-ce pas encore pour se divertir que le ministre me ferait un traitement si honorable ? C’est ce que je suis tenté de croire ; car enfin convient-il au ministre de la monarchie d’Espagne d’en user de cette sorte avec moi ? Pendant que j’étais dans cette incertitude, flottant entre la crainte et l’espérance, un page vint m’avertir que le comte me demandait. Je me rendis dans le moment auprès de monseigneur, qui était tout seul dans son cabinet. Eh bien ! Santillane, me dit-il, es-tu satisfait de ton appartement et des ordres que j’ai donnés à don Raimond ? Les bontés de Votre Excellence, lui répondis-je, me paraissent excessives, et je ne m’y prête qu’en tremblant. Pourquoi donc ? répliqua-t-il ; puis-je faire trop d’honneur à un homme que le roi m’a confié, et dont il veut que je prenne soin ? Non, sans doute ; je ne fais que mon devoir en te traitant honorablement. Ne t’étonne donc plus de ce que je fais pour toi, et compte qu’une fortune brillante et solide ne saurait t’échapper si tu m’es aussi attaché que tu l’étais au duc de Lerme.