Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/365

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gneur, je suis trop plein de vos bontés pour ne partager pas toute ma vie vos plaisirs et vos ennuis.


CHAPITRE X

Gil Blas rencontre par hasard le poète Nunez, qui lui apprend qu’il a fait une tragédie qui doit être incessamment représentée sur le Théâtre du Prince. Du malheureux succès de cette pièce, et du bonheur étonnant dont il fut suivi.


Le ministre commençait à se consoler, et moi, par conséquent, à reprendre ma bonne humeur, lorsqu’un soir je sortis tout seul en carrosse pour aller à la promenade. Je rencontrai en chemin le poète des Asturies, que je n’avais pas revu depuis sa sortie de l’hôpital. Il était fort proprement vêtu. Je l’appelai, je le fis monter dans mon carrosse, et nous nous promenâmes ensemble dans le pré Saint-Jérôme.

Monsieur Nunez, lui dis-je, il est heureux pour moi de vous avoir rencontré par hasard ; sans cela je n’aurais pas le plaisir que j’ai de… Point de reproches, Santillane, interrompit-il avec précipitation, je t’avouerai de bonne foi que je n’ai pas voulu t’aller voir : je vais t’en dire la raison. Tu m’as promis un bon poste, pourvu que j’abjurasse la poésie ; et j’en ai trouvé un très solide, à condition que je ferai des vers. J’ai accepté ce dernier, comme le plus convenable à mon humeur. Un de mes amis m’a placé auprès de don Bertrand Gomez del Ribero, trésorier des galères du roi. Ce don Bertrand, qui voulait avoir un bel esprit à ses gages, ayant trouvé ma versification très brillante, m’a choisi préférablement à cinq ou six auteurs qui se présentaient pour remplir l’emploi de secrétaire de ses commandements.