Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/408

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Il n’y eut pas moyen de tenir contre une si plaisante réplique ; j’en ris de bon cœur, et je demandai au seigneur Ligero s’il croyait véritablement qu’un homme de son métier fût préférable à un maître de philosophie. Je le crois sans doute, me dit-il ; nous sommes dans le monde d’une plus grande utilité que ces messieurs. Que sont les hommes avant qu’ils passent par nos mains ? Des corps tout d’une pièce, des ours mal léchés ; mais nos leçons les développent peu à peu, et leur font prendre insensiblement une forme ; en un mot, nous leur enseignons à se mouvoir avec grâce, nous leur donnons des attitudes avec des airs de noblesse et de gravité.

Je me rendis aux raisons de ce maître à danser, et je le retins pour montrer à don Henri sur le pied de quatre doubles pistoles par mois, puisque c’était un prix fait par les grands maîtres de l’art.


CHAPITRE VI

Scipion revient de la Nouvelle-Espagne. Gil Blas le place auprès de don Henri. Des études de ce jeune seigneur. Des honneurs qu’on lui fit, et à quelle dame le comte-duc le maria. Comment Gil Blas fut fait noble malgré lui.


Je n’avais point encore fait la moitié de la maison de don Henri, lorsque Scipion revint du Mexique. Je lui demandai s’il était satisfait de son voyage. Je dois l’être, me répondit-il, puisque avec trois mille ducats en espèces j’ai apporté pour deux fois autant en marchandises de défaite en ce pays-ci. Je t’en félicite, repris-je, mon enfant ; voilà ta fortune commencée ; il ne tiendra qu’à toi de l’achever, en retournant aux Indes l’année prochaine ; ou bien, si tu préfères à la peine d’aller si loin amasser du bien un poste agréable à Madrid, tu n’as qu’à parler ; j’en ai un à te donner.