Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/55

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plus à présent, dit avec précipitation Zapata. Vive Dieu ! la commère s’est bien corrigée de cela ; aussi en ai-je le pourpoint mieux doublé.

J’allais le féliciter sur ce que sa femme était devenue raisonnable, lorsqu’il fut obligé de me quitter pour paraître sur la scène. Curieux de connaître sa femme, je m’approchai d’un comédien pour le prier de me la montrer ; ce qu’il fit en me disant : vous la voyez ; c’est Narcissa ; la plus jolie de nos dames après votre sœur. Je jugeai que cette actrice devait être celle en faveur de qui le marquis de Marialva s’était déclaré avant que d’avoir vu son Estelle, et ma conjecture ne fut que trop vraie. À la fin de la pièce je conduisis Laure à son domicile, où j’aperçus en arrivant plusieurs cuisiniers qui préparaient un grand repas. Tu peux souper ici, me dit-elle. Je n’en ferai rien, lui répondis-je ; le marquis sera peut-être bien aise d’être seul avec vous. Oh ! que non, reprit-elle ; il va venir avec deux de ses amis et un de nos messieurs ; il ne tiendra qu’à toi de faire le sixième. Tu sais bien que chez les comédiennes les secrétaires ont le privilège de manger avec leurs maîtres. Il est vrai, lui dis-je ; mais ce serait de trop bonne heure me mettre sur le pied de ces secrétaires favoris. Il faut auparavant que je fasse quelque commission de confident pour mériter ce droit honorifique. En parlant ainsi, je sortis de chez Laure, et gagnai mon auberge où je comptais d’aller tous les jours, puisque mon maître n’avait point de ménage.


CHAPITRE IX

Avec quel homme extraordinaire il soupa ce soir-là, et de ce qui se passa entre eux.


Je remarquai dans la salle une espèce de vieux moine, vêtu de bure grise, qui soupait tout seul dans un coin. J’allai par curiosité m’asseoir vis-à-vis de lui ; je le