Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/90

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Après m’avoir tenu ce discours, il me renvoya ; et dès le soir même, devant tous les domestiques, je fus proclamé surintendant de la maison. Le Messinois et le Napolitain n’en furent pas d’abord fort mortifiés, parce que je leur paraissais un gaillard de bonne composition, et qu’ils comptaient qu’en partageant avec moi le gâteau, ils iraient toujours leur train. Mais ils se trouvèrent bien sots le jour suivant, lorsque je leur déclarai que j’étais un homme ennemi de toute malversation. Je demandai au maître d’hôtel un état des provisions. Je visitai la cave. Je pris connaissance de tout ce qu’il y avait dans l’office, je veux dire de l’argenterie et du linge. Je les exhortai ensuite tous deux à ménager le bien du patron, à user d’épargne dans la dépense, et je finis mon exhortation en leur protestant que j’avertirais ce seigneur de toutes les mauvaises manœuvres que je verrais faire chez lui.

Je n’en demeurai pas là. Je voulus avoir un espion pour découvrir s’il y avait de l’intelligence entre eux. Je jetai les yeux sur un marmiton qui, s’étant laissé gagner par mes promesses, me dit que je ne pouvais mieux m’adresser qu’à lui pour être instruit de tout ce qui se passait au logis ; que le maître d’hôtel et l’intendant étaient d’accord ensemble et brûlaient la chandelle par les deux bouts ; qu’ils détournaient tous les jours la moitié des viandes qu’on achetait pour la maison ; que le Napolitain avait soin d’une dame qui demeurait vis-à-vis le collège de Saint-Thomas, et que le Messinois en entretenait une autre à la porte du Soleil ; que ces deux messieurs faisaient porter tous les matins chez leurs nymphes toutes sortes de provisions : que le cuisinier de son côté envoyait de bons plats à une veuve qu’il connaissait dans le voisinage, et qu’en faveur des services qu’il rendait aux deux autres, à qui il était tout dévoué, il disposait comme eux des vins de la cave : enfin, que ces trois domestiques étaient cause qu’il se faisait une dépense horrible chez M. le