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à force d’aimer

— Qu’ils se les partagent donc ! » dit le financier avec ironie. « J’ai calculé qu’en me dépouillant de tout, ils auraient chacun cinquante centimes de plus à dépenser par jour.

— Ah ! bravo… C’est la vraie réponse à faire aux adversaires du capital… »

Des rires et des applaudissements manifestèrent la joie de ces gens riches et leur empressement à flatter le plus riche d’entre eux tous. L’ombre que les mots de socialisme et de partage avaient répandue se dissipait. Le dernier raisonnement ramenait la sécurité. Et du même coup l’aiguillon des consciences cessait d’appuyer sa pointe. Pourquoi mêlerait-on des remords aux délices de l’oisiveté, aux raffinements du luxe, à l’effréné déploiement des vaniteuses apparences, puisque la privation de tout cela ne supprimerait pas la misère, et mettrait seulement dix sous de plus par jour dans la poche de quelques personnes ? Le côté paradoxal du raisonnement amusa pendant quelques minutes les invités de M. Vallery. On fit des calculs. On rappela l’anecdote de Rothschild disant aux délégués du peuple, dans une heure de révolution : « Vous voulez le partage, mes amis… Soit. Combien êtes-vous de prolétaires en Europe ? Deux cents millions peut-être. C’est à peu près le chiffre de ma fortune. Tenez, voilà chacun vingt sous. Et maintenant, allez-vous-en, vous avez votre part. »