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à force d’aimer

« Votre sœur qui vous aime, vous remercie et vous admire.

« Huguette. »

« Post-scriptum. Je ne vous parle pas de notre père. Si vous voyiez pourtant combien il est touché de votre conduite, vous comprendriez que certains mouvements du cœur peuvent racheter bien des torts. »

La tentative conciliatrice de cette dernière phrase laissa René indifférent. Mais, à l’exception de ce post-scriptum, il relut dix fois la lettre. Il baisa le papier. Il tremblait de joie. Des larmes d’ivresse lui voilaient les yeux. Un orgueil délicieux le soulevait. Il se grisait d’héroïsme et d’amour. Il balbutiait des mots sans suite, bénissait les chères petites filles, bénissait Chanceuil lui-même. Il avait envie de le tuer et de l’embrasser. Sa haine contre lui tombait. Toutefois il se sentait sûr de le vaincre. Pour tout dire, il traversa quelques minutes de folie — mais de cette folie rare et divine que cause la soudaineté d’un extrême bonheur.

Dans l’incapacité absolue de s’appliquer au travail, ou de s’entretenir avec quelqu’un sans déraisonner, René quitta le journal et alla s’enfermer