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à force d’aimer

dévoré de charité. La fortune mal acquise de son père, elle la consacrera au triomphe de notre cause. Cette réparation n’en vaut-elle pas une autre ? Vous ne connaissez pas Germaine… »

Quelque chose de profond, de presque sacré, frémissait dans la voix de ce jeune homme, parlant au nom d’un amour impérieux, héroïque et pur. Horace en fut secrètement ébranlé. Pourtant il résista :

— « J’admets, » dit-il, « que tout cela soit exact et que la passion ne t’illusionne pas. Mais cette jeune fille n’est pas libre d’agir. À peine est-elle majeure. Elle dépend de son père. Entrera-t-elle en lutte avec lui ? Oseras-tu l’y pousser ?

– Ah ! » répliqua René, qui, dans son angoisse, perdit un instant toute mesure, « si vous gardiez la force de raisonner ainsi quand vous aimiez ma mère, je ne m’étonne pas qu’elle soit morte… »

À peine eut-il prononcé cette phrase qu’il éprouva le même affreux sentiment dont il avait presque défailli en arrachant son épée de la gorge de Chanceuil. Il pâlit du coup qu’il portait. Mais ce fut sa propre sensibilité qui lui en attesta la barbarie, car Horace ne broncha pas. Pourtant le fils d’Hélène ignorait la portée terrible de ce qu’il venait de dire. C’était, en effet, la tyrannie de la pensée sur la passion qui jadis avait torturé Fortier et armé le revolver de sa tendre victime. Suprématie de la raison, dont ce mâle esprit