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à force d’aimer

consacrerais toute mon existence à faire un peu du bien que vous rêvez. S’il faut attendre, j’attendrai. S’il faut vous suivre, je vous suivrai. Parlez. J’ai entrevu déjà, malgré l’insouciance apparente de ma vie, bien des choses redoutables, bien des douleurs, bien des bassesses. Je ne crains pas de souffrir. Je crains seulement d’être pour les autres un instrument involontaire de souffrance, et je ne veux pas qu’une de mes joies coûte une larme, fût-ce au dernier des êtres. Me croyez-vous capable de partager votre espoir et vos préoccupations ? »

Elle levait sur lui, tout en parlant, des yeux rayonnants d’une flamme si éblouissante, que le jeune homme perdit la tête, et que sa réponse fut un baiser. Au frémissement de la chair pure mais passionnée qu’il effleura de ses lèvres, René sentit que, dans cette créature si complète, l’amour avait éveillé toutes les forces d’une jeunesse vibrante, et que rien d’elle n’était insensible aux ardeurs qui brûlaient en lui. Peut-être cette voluptueuse certitude eût-elle fondu sa fermeté… Peut-être le second baiser que sollicitaient ses yeux et sa bouche eût-il triomphé des vaillantes résolutions inspirées par l’exemple d’Horace, par le souvenir d’Hélène, et par l’appel des multitudes désolées… Mais ce second baiser, Germaine ne l’accorda pas. Elle se redressa, par un geste de dignité et de douceur, détourna les yeux et dit :