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JE SAIS TOUT

nous ne chassons pas… Mais maintenant que Monsieur est rentré, si Monsieur n’est pas d’avis…

— Vous dites que ce monsieur et cette dame habitent…

— La propriété de la Roche au Roi ; Monsieur voit bien où c’est ? Ça m’étonne même que Monsieur ne les ait pas rencontrés. Tous les jours vers cinq heures ils se promènent sur la route.

— C’est bien possible, répondit Philippe d’un ton détaché. Savez-vous comment ils s’appellent ?

— Chanteleu.

— Chanteleu ?…

— C’est un monsieur de Paris, on dit qu’il est venu là pour la santé de la demoiselle…

— Ah ! murmura Philippe…

— Alors, qu’est-ce que je dis au garde ? demanda Germain.

— Bah, qu’il les laisse tranquilles comme avant !…

IV

Quand pendant une semaine, Philippe eut vainement tenté la chance de prendre un poisson, et surtout d’apercevoir la silhouette de Mlle  Chanteleu, le matin, près de l’étang ou le soir sur la route, il commença à chercher sous quel prétexte il pourrait se présenter à la Roche-au-Roi.

Le hasard lui en fournit un heureux et simple au moment qu’il désespérait de le trouver. Louvet, le garde, soucieux de montrer qu’il gagnait loyalement son argent, lui annonça un jour, avec une satisfaction non dissimulée, qu’il avait pincé le Monsieur d’en face. À l’appui de son dire, il traînait sur le gazon deux nasses encore toutes luisantes d’eau. Pour lui, l’événement était d’importance. Il le conta à son maître sans faire grâce d’un seul détail. Philippe l’écouta, l’approuva même, car il ne faut, en aucun cas, décourager le zèle des serviteurs, puis, quand il eut fini, lui dit :

— Mon ami, c’est très bien. Je vois que vous veillez sur la propriété. Quant au procès-verbal que vous avez dressé, donnez-le moi, je m’en charge.

Le garde lui tendit le papier avec déférence, mais sans plaisir.

Philippe en le glissant dans sa poche expliqua :

— Ça fait toujours mauvais effet de mettre le garde-champêtre dans ses affaires…

Après quoi, lui ayant donné une petite tape amicale sur l’épaule, il se dirigea d’un pas allègre vers la propriété de M. Chanteleu.

M. Chanteleu était occupé à tailler des rosiers quand il entra. Il vint à sa rencontre.

— Monsieur Le Houdier, sans doute ?

— Monsieur Chanteleu ?

Les deux hommes s’étant ainsi présentés, se saluèrent :

— Monsieur, commença Philippe, excusez-moi de me présenter chez vous…

— Excusez-moi plutôt de vous causer ce dérangement, répondit M. Chanteleu car je devine l’objet de votre visite. J’ai eu le tort de poser des nasses dans votre étang ; votre garde a confisqué mes engins en quoi il n’a fait que son devoir — et me voici tout prêt à expier ma faute.

— Il ne s’agit point d’expier une faute, s’écria Philippe, et c’est tout au contraire pour vous prier de n’attacher aucune importance à ce petit incident, que je viens vous voir. Le procès-verbal n’aura pas de suite ; et puisque la pêche vous amuse, je désire qu’à l’avenir vous puissiez vous y livrer tranquillement chez moi : je donnerai des ordres en conséquence. Ne me remerciez