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LE DOUBLE SECRET
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— Tout de même… soupira-t-il en glissant la liasse dans son portefeuille.

— N’y pensons plus…

— Si… pour me souvenir de la leçon.

Elle sourit :

— Comme cela, je permets.

Philippe descendit vivement l’escalier. Maintenant qu’il tenait la somme, il avait hâte de la remettre à M. Reval. Tout en marchant, il arrêtait son attitude, qui serait froide, et ses paroles, qui seraient brèves, car il ne pouvait chasser de son esprit le sourire ironique de ce monsieur. Il ne lui en voulait pas d’avoir gagné — tout s’était passé fort correctement dans cette partie — mais d’avoir cru qu’il tentait de se soustraire à ses obligations et considérait comme nulle une dette de jeu.

Il traversa les salons, le fumoir, le jardin d’hiver : M. Reval n’y était pas. En revanche, des groupes nombreux commentaient les événements de la veille. On n’avait rien trouvé, ni dans les chambres des voyageurs, ni dans celles du personnel. Un domestique, un instant soupçonné parce qu’il avait perdu les clés de ses malles, venait d’être relâché ; des policiers fouillaient la neige en un point où elle semblait avoir été remuée récemment ; on se montrait deux voyageurs nouveaux, dont l’arrivée coïncidait trop avec le vol pour qu’on ne découvrît pas en eux des policiers déguisés ; et, en passant près de la table où ils lisaient les journaux, on les examinait avec une curiosité dépourvue de bienveillance.

Le déjeuner fut calme. La dame au collier devait prendre son repas dans sa chambre. On commenta cette absence. Les uns l’approuvaient, les autres estimaient qu’après avoir bouleversé l’hôtel, jeté le soupçon sur tant de gens, il eût été pour le moins correct de s’excuser au lieu de disparaître et de s’enfermer… Car, enfin, comment admettre qu’elle ne se fût pas portée garante de gens au milieu desquels elle vivait, dont plusieurs avaient été reçus à sa table, à Paris, où l’avaient reçue à la leur ?…

Après le déjeuner, on proposa d’aller au patinage, mais le temps incertain n’engageait guère à sortir ; le dégel commençait, sournois et triste, la glace avait perdu sa transparence, et du toit descendaient de lourdes gouttes qui tombaient avec un tic tac régulier d’horloge sur la neige déjà moins blanche et poreuse.

— D’ailleurs, déclara quelqu’un, ferait-il cent fois plus beau, je me garderais bien de franchir le seuil de l’hôtel… Pour qu’on m’accuse ensuite d’avoir cambriolé !

— Au fond, c’est vrai, approuva une autre personne : nous sommes tous ici dans une situation extrêmement gênante. Tant que le voleur ne sera pas