Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Castle spectre (le Spectre du château) justifia pleinement sa tentative. Deux débuts si heureux dans deux genres plus différents qu’ils ne paraissent l’être, lui indiquaient clairement les routes à suivre : il partagea son temps entre le roman et le drame, et, dans l’un comme dans l’autre, il resta fidèle à ses premières amours pour le terrible et le merveilleux. On peut le voir aux titres seuls de ses ouvrages, dont on trouvera la liste à la fin de cette notice.

Il n’était âgé que de trente-neuf ans, et il avait encore devant lui un long avenir littéraire, lorsque la mort de son père le laissa possesseur de riches plantations dans les Indes occidentales. Malgré la fougue de sa jeune imagination et les reproches qu’elle lui avait valus, Lewis était, dans sa conduite, un homme tout aussi vertueux que ses accusateurs.

Ce n’est pas qu’il fût exempt de faiblesses. Il était extrêmement petit, d’une taille de nain, comme il le dit lui-même ; et peut-être cette exiguïté physique n’avait pas été sans influence sur le moral : il était resté un peu enfant gâté. Byron, qui, à la vérité, n’est pas toujours l’indulgence même, le taxe d’un esprit de contradiction qui le rendait très fatigant. Walter Scott, avec plus de bienveillance et de bonhomie, lui reproche pourtant de citer continuellement des noms de ducs et de duchesses, et s’étonne de cette manie bourgeoise dans un homme de mérite, dans un homme qui, toute sa vie, avait fréquenté la bonne société et même la fashion.

« Mais, » ajoute-t-il, « avons-nous beaucoup d’amis qui n’aient que des ridicules ? Lewis était une des meilleures créatures qui aient existé. Son père et sa mère vivaient séparés, et le vieux Lewis, qui avait alloué à Matthew une pension assez forte, la réduisit de moitié lorsqu’il sut que celui-ci la partageait avec sa mère ; mais Matthew restreignit en proportion ses dépenses personnelles, et, tel qu’il était, son revenu fut employé comme auparavant. Il faisait beaucoup de bien à la dérobée. »

Dans cet héritage, où d’autres n’auraient vu qu’un accroissement de bien-être et de jouissances, il trouva des devoirs à remplir. Il était devenu maître de plusieurs centaines d’esclaves : comment étaient-ils traités ? Son cœur s’attendrit ; sa conscience s’alarma. Il ne voulut pas se rendre complice par sa négligence de toutes les atrocités qui pouvaient être commises en son nom. C’était un long voyage, un climat malsain ; mais l’humanité lui prescrivait de partir : il partit, donnant un bel exemple et bien peu suivi à tous les propriétaires absents de l’Irlande et autres lieux.

Après un séjour suffisant pour tout voir de l’œil du maître, et après une réforme aussi complète que possible des abus, il revint en Angleterre. Mais ses ordres pouvaient n’avoir pas été