Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/155

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pagnées, et la connaissance que j’avais de ses dispositions vindicatives, me faisaient trembler pour moi-même et pour ma bien-aimée. Je restai quelque temps muet, je ne savais que répondre à sa déclaration ; je ne pus que me résoudre à la détromper sans délai, et à lui cacher pour le moment le nom de ma maîtresse. Elle n’avait pas plus tôt avoué sa passion, que les transports qui se lisaient sur mes traits avaient fait place à la consternation et à l’embarras ; je laissai aller sa main, et je me relevai. Le changement de ma physionomie n’échappa pas à son observation.

« Que signifie ce silence ? » dit-elle d’une voix tremblante ; « où est cette joie à laquelle je devais m’attendre ? »

« Pardonnez-moi, señora, » répondis-je, « si la nécessité me force à paraître manquer pour vous d’égards et de reconnaissance. Vous encourager dans une erreur, qui, bien qu’elle puisse me flatter, ne doit être pour vous qu’une source de désappointement, ce serait me rendre criminel à tous les yeux. L’honneur m’oblige de vous déclarer que vous avez pris pour les sollicitudes de l’amour ce qui n’était que les prévenances de l’amitié. Ce dernier sentiment est celui que j’ai désiré d’inspirer à votre cœur ; en nourrir un plus ardent, c’est ce que m’interdisent et le respect que je vous porte, et ma gratitude pour le généreux accueil du baron. Peut-être ces motifs n’auraient pas suffi à me garantir de vos attraits, si mon affection n’avait pas déjà appartenu à une autre. Vous avez, señora, des charmes faits pour captiver le plus insensible ; il n’est pas de cœur libre qui pût leur résister ; il est heureux pour moi que le mien ne soit plus en ma possession, car j’aurais eu à me reprocher toute ma vie d’avoir violé les lois de l’hospitalité. Rappelez-vous, noble dame, rap-