Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/76

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réussi ; j’ai été reçue dans le couvent, et je suis parvenue à gagner votre estime.

« Je me serais trouvée complètement heureuse, si mon repos n’eût été troublé par la crainte d’être découverte. Le plaisir de votre société était empoisonné par l’idée que bientôt j’en serais privée, et mon cœur battait avec de tels transports lorsque j’obtenais de vous quelque marque d’amitié, que je sentais que je ne survivrais pas à sa perte. Je résolus donc de ne point laisser au hasard la découverte de mon sexe, de vous confesser tout sans réserve, et de me jeter dans les bras de votre miséricorde et de votre indulgence. Ah ! Ambrosio, me suis-je trompée ? serez-vous moins généreux que je ne pensais ? je ne veux pas le supposer. Vous ne réduirez pas une infortunée au désespoir ; j’aurai toujours la permission de vous voir, de causer avec vous, de vous adorer ! vos vertus seront mon modèle dans la vie ; et, quand nous expirerons, nos corps reposeront dans le même tombeau. »

Elle se tut. Tandis qu’elle parlait, mille sentiments opposés se combattaient dans le sein d’Ambrosio. Étonnement de la singularité de cette aventure, confusion d’une déclaration si brusque, ressentiment de l’audace qu’elle avait eue d’entrer au couvent, conscience de la sévérité qui devait dicter sa réponse : tels étaient les sentiments dont il se rendait compte ; mais il en était d’autres encore qu’il ne remarqua pas. Il ne remarqua pas que sa vanité était flattée des éloges donnés à son éloquence et à sa vertu ; qu’il éprouvait un secret plaisir à penser qu’une femme jeune, et qui paraissait jolie, avait pour lui abandonné le monde, et sacrifié toute autre passion à celle qu’il avait inspirée. Il remarqua moins encore que son cœur battait de désir, tandis que sa main était doucement pressée par les doigts d’ivoire de Mathilde.