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toutes les souffrances de la vie — leur fantasmagorie d’une félicité future escomptée par avance ?

« Comment ? Entends-je bien ? Ils nomment cela : le « jugement dernier » ; et la venue de leur règne : le « royaume de Dieu » ; — en attendant, ils vivent « dans la foi », « dans l’amour », « dans l’espérance. » « — Assez ! assez[1] ! »

Voilà donc constitué l’idéal de l’esclave et composée sa table des valeurs morales. Il vit, tant bien que mal, soutenu par les fictions consolantes qu’il a créées. Mais sur lui pèse toujours la dépression physiologique, la cause initiale de sa faiblesse. Il souffre, il s’impatiente de son mal. C’est ici qu’intervient le prêtre, non pour guérir le mal dont il est atteint, en s’attaquant directement, comme fait le médecin, à sa cause réelle et physique, — mais seulement pour faire oublier au patient la douleur qu’il ressent.

À cet effet, il use d’abord de narcotiques qui endorment la souffrance sans d’ailleurs porter le moins du monde remède au trouble physiologique dont elle découle. Il traite le malade par l’hypnotisme, il lui prescrit une hygiène qui tend à réduire sa vie animale et sa vie intellectuelle au strict minimum : grâce aux pratiques ascétiques, à la mortification de la chair, à « l’abêtissement » systématique, il finit par plonger son malade dans une sorte de torpeur physique et morale qui le rend moins sensible à la douleur, il parvient même, parfois, à l’insensibiliser presque complètement. Par cette médication il fait du dégénéré un fakir, un « saint ». — Dans un très grand nombre de cas le prêtre se borne, encore, à ordonner au patient qu’il soigne la pratique d’une activité machinale, régulière qui absorbe son attention, fait de lui une sorte d’automate et l’empêche de songer à soi. Ou bien encore il

  1. W. VII, 329-331.