Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/128

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Nietzsche, c’est que comme religion et comme idéal moral il aboutit au nihilisme. Il a créé tout un monde de pures fictions : il a imaginé des causes fictives, « Dieu », « l’âme », « l’esprit », le « libre arbitre » — et des effets fictifs, le « péché », la « grâce », — des relations entre des êtres imaginaires, « Dieu », les « esprits », les « âmes » — ; il a inventé une science naturelle fictive fondée sur la méconnaissance des causes naturelles, une psychologie fictive basée sur une fausse interprétation des phénomènes physiologiques (par exemple la souffrance expliquée comme conséquence du péché), une téléologie fictive, le « règne de Dieu », la « vie éternelle ». En même temps que le chrétien construisait son monde imaginaire, il maudissait l’univers réel, il opposait la a nature » source de tout mal, à « Dieu », source de tout bien. L’origine de l’illusion chrétienne apparaît donc clairement : elle est née de la haine de la réalité ; elle est le produit d’une humanité dégénérée où la somme de douleur l’emporte sur la somme de joie, d’une humanité lassée et souffrante qui incline vers le pessimisme, vers la négation de la vie, qui aspire à rentrer dans le néant.


IV


Le grand fait de l’histoire européenne c’est le triomphe, aujourd’hui à peu près général, de la morale d’esclaves sur la morale de maîtres : presque partout l’homme moderne accepte la table des valeurs créée par le ressentiment des esclaves, le détraquement physiologique et psychologique des dégénérés et le mensonge conscient ou inconscient de leurs chefs naturels, les prêtres ascétiques. — Pendant deux mille ans une lutte acharnée s’est livrée entre Rome, l’héritière de la tradition grecque et de son idéal aristocratique, le berceau de la race la plus