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solution qui a nom : Enfantement[1]. » L’amour est donc l’événement décisif de son existence. À l’inverse de l’homme, elle doit mettre son honneur et sa gloire à être « la première en amour », à se donner tout entière, sans réserve, corps et âme au maître qu’elle a choisi. C’est dans cette abdication de sa volonté propre qu’elle doit chercher son bonheur, et elle est d’autant plus admirable, d’autant plus parfaite que ce don de soi-même est plus complet, plus définitif. « Le bonheur de l’homme, dit encore Zarathustra, a nom : je veux. Le bonheur de la femme a nom : il veut[2]. » La femme qui aime doit se donner entièrement à l’homme qui à son tour doit accepter virilement ce don : ainsi le veut la loi d’amour, loi tragique et douloureuse parfois, et qui met entre les deux sexes un irréductible antagonisme. La femme est faite pour aimer et obéir, mais malheur à elle si l’homme, soit lassitude, soit inconstance, vient à se dégoûter de sa conquête, à trouver médiocre le don qui lui a été fait, et s’en va courir vers de nouvelles amours ! L’homme doit dominer et protéger ; il doit être assez riche et puissant pour vivre en quelque sorte deux vies, pour conquérir sa part de bonheur à lui, et aussi pour fournir de bonheur celle qui a mis en lui son espoir ; mais malheur à lui s’il reste au-dessous de cette lourde tâche, si, ayant su se faire aimer, il n’a pas la force nécessaire pour alimenter la flamme de cet amour ; l’amour déçu se change en mépris, et la femme voue une haine implacable et sans merci à l’homme qu’elle juge indigne d’elle, qu’elle accuse de lui avoir fait manquer sa destinée.

L’époque moderne n’accepte pas plus volontiers cet antagonisme naturel de l’homme et de la femme qu’elle n’accepte l’opposition non moins naturelle du maître et

  1. W. VI, 96.
  2. W. VI, 97.