Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/161

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mais sa vision n’est autre chose que la loi suprême qui met en branle des générations entières ; et tous les hauts faits des hommes d’action ne sont que la traduction visible et concrète de sa pensée. Il crée en toute liberté, en toute indépendance, insoucieux du bien et du mal, de la vérité et de l’erreur ; il crée sa vérité, il crée sa morale. Il est un « expérimentateur » (Versucher) intrépide qui cherche sans cesse des formes d’existence nouvelles, et qui, au cours de ses redoutables expériences, risque sans trembler, sa vie, son bonheur ainsi que la vie et le bonheur de toutes les créatures inférieures qu’il entraîne à sa suite. Il est un joueur audacieux et sublime qui joue avec le Hasard une partie formidable, dont l’enjeu est la vie ou la mort.

Le sage, selon Nietzsche, n’est donc pas un pacifique ; il ne promet pas aux hommes la paix et la tranquille jouissance des fruits de leur travail. Mais il les exhorte à la guerre ; il fait luire à leurs yeux l’espoir de la victoire.

« Vous chercherez votre ennemi, dit Zarathustra, vous combattrez votre combat, vous lutterez pour votre pensée ! Et si votre pensée succombe, votre loyauté devra se réjouir de sa défaite !

« Vous aimerez la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix mieux que la longue.

« Je ne vous conseille pas le travail. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit un combat, votre paix une victoire !…

« Une bonne cause, dites-vous sanctifie même la guerre. Mais moi je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause…

« Vous ne devez avoir pour ennemis que des adversaires haïssables, mais non point des adversaires méprisables. Vous devez être fiers de votre ennemi : alors les succès de votre ennemi seront aussi vos succès[1]. »

  1. W. VI, 67 s.