Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/181

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par lui et basée sur des faits vraisemblablement inexacts, peut cependant ne pas être dépourvue de tout intérêt.

De plus, il faut pour apprécier équitablement l’importance des « erreurs » possibles, dans les théories de Nietzsche, ne pas oublier que toute son œuvre est essentiellement subjective. Or le culte de la vérité objective est, comme le reconnaît très bien Nietzsche, la forme moderne la plus puissante du sentiment religieux. Nous exigeons instinctivement du savant le respect scrupuleux de la réalité ; nous le voulons aussi impartial, aussi impersonnel que possible. Nous savons bien, à la vérité, que l’objectivisme pur n’est qu’un leurre ; que nul ne peut se dépouiller complètement de sa personnalité et voir les choses telles qu’elles sont effectivement ; que toute vérité est donc dans une certaine mesure individuelle ; et que dans une œuvre de science, l’essentiel n’est peut-être pas ce que l’auteur a puisé dans la réalité, mais ce qu’il y a mis de lui-même. Malgré cela, nous croyons invinciblement à une vérité « objective » ou « universellement subjective » — ce qui revient au même — et nous estimons, en général, un auteur dans la mesure où ses idées nous paraissent s’accorder avec ce que nous estimons être la vérité objective. Or nous sommes libres évidemment, si nous y tenons, d’appliquer à Nietzsche cette mesure. Seulement il faut bien nous rendre compte que Nietzsche a toujours voulu avant tout se chercher lui-même, se connaître lui-même. Nous avons vu comment il a, de son propre aveu, considéré ses éducateurs, Schopenhauer et Wagner : il s’est toujours beaucoup moins préoccupé de ce qu’ils étaient en eux-mêmes que de ce qu’ils pouvaient lui révéler sur sa personnalité à lui. Il a créé d’eux une « légende » dont la vérité objective est très vivement contestée ; lui-même a reconnu que dans Schopenhauer éducateur et dans R. Wagner à Bayreuth, il s’est en réalité peint lui-même en tant que philosophe et en tant