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TANNHÀUSER

d'Elisabeth. Vénus est vaincue. Tannhäuser trouve enfin la force d'atteindre lui aussi les hauteurs du renoncement suprême. Il s'agenouille devant le cercueil et expire auprès de la pure victime en s'écriant : « Sainte Elisabeth, priez pour moi ! » Lui aussi meurt incertain du salut. Mais alors s'avance une seconde troupe de pèlerins annonçant le miracle opéré par la grâce du Sauveur : le bâton entre les mains du pape a reverdi : Tannhäuser est pardonné ! Ce dénouement, parfaitement clair et satisfaisant tant qu'on le considère uniquement au point de vue poétique, devient singulièrement obscur dès qu'on essaye de l'expliquer philosophiquement. Wagner lui-même a donné de son œuvre deux interprétations qui diffèrent notablement l'une de l'autre. En 1851, dans sa Communication à mes amis, il explique qu'il serait faux de voir dans Tannhäuser une pièce spécifiquement chrétienne et pessimiste. II n'a pas entendu condamner d'une manière générale la vie terrestre, l'amour, le désir, mais seulement la vie moderne, l'amour tel qu'il est possible dans notre civilisation corrompue. Tannhäuser serait donc en réalité un drame révolutionnaire, une protestation contre la société actuelle. Dans le monde où nous vivons, la satisfaction de ce désir très légitime de jouissance et d'amour qui est au fond de tout être humain ne peut s'acheter qu'au prix d'une irrémédiable déchéance. L'homme qui aspire à un amour digne de lui doit donc nécessairement concevoir l'objet de cet "Amour comme un idéal de pureté virginale, qu'on ne peut conquérir dans cette vie terrestre et avec lequel on ne peut être uni que dans la mort. Et ainsi il sera logiquement amené à souhaiter la mort, non point du tout parce que la vie est mauvaise en soi ou parce que l'homme ne peut atteindre la véritable félicité que dans l'au-delà,