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TANNHÄUSER

et d'idées avec le public sans qu'il pût espérer, d'ailleurs, que cet antagonisme dût prendre fin dans un avenir prochain. Sous cette impression, il conçoit avec beaucoup de force la nécessité d'un renoncement absolu au bonheur matériel : l'idéal lui apparaît comme lointain, inaccessible, séparé du réel par un infranchissable abîme ; et, pour exprimer sa pensée, il se sert volontiers des symboles chrétiens qui répondent assez exactement à ses idées. Il peint, comme un chrétien, la corruption terrestre, le péché, la nécessité du repentir, de la conversion, l'espoir d'une vie future bienheureuse, la croyance en un Dieu d'amour qui écoute la prière des hommes et se laisse fléchir par l'intercession d'une sainte. Pourtant il a conscience que son pessimisme n'est pas absolu, que son christianisme est surtout symbolique. Il ne condamne pas la vie en général mais seulement la vie moderne ; il ne veut pas que l'homme renonce au bonheur d'une façon absolue, mais seulement à ce bonheur méprisable et avilissant qui est seul possible au sein d'une civilisation corrompue. Or la croyance à la corruption du siècle fait, selon les circonstances, le chrétien qui aspire au ciel ou le révolutionnaire qui veut détruire l'ordre social présent. Wagner est à la fois et avec une égale sincérité l'un et l'autre ; — un peu plus chrétien jusque vers 1848 — un peu plus révolutionnaire lorsque les événements de 1848 l'inclinent à penser que la régénération de l'humanité est peut-être proche et doit être réalisée dans cette vie. A ce moment il démontre dans sa Communication à mes amis, avec une parfaite bonne foi, que Tannhäuser n'est pas une pièce spécifiquement chrétienne, mais un drame révolutionnaire comme l'Anneau du Nibelung; — et il a raison. Quelques années plus tard, l'équilibre de sa nature complexe tend de nouveau à se rompre en faveur de l'élément chrétien et pes-