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42 PREMIÈaES EXPÉRIENCES

ardeur révolutionnaire, dans son brûlant enthousiasme pour la vie chaude et colorée, pour la passion vibrante et sensuelle, Wagner allait presque jusqu'à renier ses anciens dieux, les grands maîtres de la musique allemande. Beet- hoven cessa d'être le modèle vers lequel il tendait ; la IX° symphonie lui apparut comme le couronnement d'une période d'art close à l'heure présente, comme le chef- d'œuvre inimitable d'un genre mort et incapable de refleu- rir à nouveau. C'est dans ces dispositions qu'il composa, pendant l'été de 1834, le libretto d'un nouvel opéra, la Défense d'aimer. Le sujet était emprunté au drame de Shakespeare, Mesure pour mesure ; mais Wagner avait fait de son ori- ginal une adaptation très libre en introduisant dans sa pièce une apologie de la théorie favorite de la Jeune Allemagne, la réhabilitation de la chair. Il nous peint le conflit qui éclate entre le gouverneur de Palerme, un Alle- mand morose et puritain, et ses sujets siciliens à qui il prétend interdire la joyeuse licence du carnaval, les plaisirs faciles et l'amour que n'a pas sanctionné la loi. Bien en- tendu l'Allemand pudibond et hypocrite est confondu au dénouement et obligé de reconnaître que la pruderie ger- manique n'est pas de mise dans la joyeuse Italie, cette terre bénie du soleil, de la gaîté et de l'amour. Comme on le voit, le contraste est complet entre le mysticisme vaporeux des Fées et l'exubérante sensualité de la Défense d'aimer. Et l'on ne peut qu'admirer la souplesse de talent merveilleuse qui permettait à Wagner de composer, à quelques mois d'intervalle, deux œuvres aussi opposées de style, d'inspi- ration et de facture. En continuant dans cette voie, toutefois, Wagner ris- quait de tomber dans la trivialité. La préoccupation du auccès immédiat, de l'action directe à exercer sur le pu-