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ACTION INTÉRIEURE DU VAISSEAU-FANTÔME 89

c'est l'époque des découvertes lointaines, des grands voyages, non plus sur la petite Méditerranée comme au temps des Grecs, mais sur l'Océan immense. Et le sentiment éternellement humain, qui avait engendré les mythes d'Odysseus et du Juif-Errant, subit une nouvelle métamorphose : ce n'est plus maintenant l'aspiration d'Odysseus vers son foyer et sa femme qu'il a perdus mais qu'il connaît, qu'il sait où retrouver ; ce n'est plus non plus le désir de l'au delà, de la paix du tombeau comme chez le Juif-Errant ; c'est l'aspiration vers une patrie nouvelle, inconnue, lointaine, que l'homme pressent sans la connaître, sans savoir où il peut la trouver. Le Hollandais maudit est le héros du mythe ainsi transformé : « Le navigateur hollandais, pour expier sa témérité, est condamné par le diable, qui personnifie évidemment la sombre puissance des flots de la tempête, à errer sans repos, de toute éternité, sur la mer. Comme Ashasvérus, il souhaite la mort, seul terme de ses souffrances, mais cette délivrance, encore refusée au Juif-Errant, il peut l'obtenir — par le sa- crifice d'une femme qui se dévouerait pour lui : le désir de la mort le pousse donc à la recherche de cette femme. Seulement cette femme, ce n'est pas la Pénélope grecque, la gardienne du foyer, l'épouse qu'Odysseus jadis conduisit en sa maison, c'est la femme en général, lointaine mais pressentie, la femme infiniment femme, en un mot la femme de l'avenir» (i). Et Wagner, revenu de ses illusions sur Paris où il avait cru trouver la terre promise, solitaire dans un milieu qu'il sentait étranger ou hostile, s'identifiait volontiers en imagination avec le hardi marin qui s'était obstiné contre vents et tempêtes à découvrir des contrées nouvelles et qui, puni de son audace, errait sur (1) Ges. Schr. IV, 265 s.