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THUCYDIDE, LIV. I.

Ils n’avaient d’alliance avec aucun état de l’Hellade, et ne s’étaient fait comprendre ni dans les traités d’Athènes, ni dans ceux de Lacédémone. Ils crurent devoir se rendre à Athènes, et tenter d’être admis dans l’alliance de cette république et d’en obtenir des secours. Les Corinthiens, instruits de cette résolution, y députèrent aussi dans la crainte que les forces maritimes de cette république, unies contre eux à celles de Corcyre, ne les empêchassent de conduire la guerre. L’assemblée formée, les députés de part et d’autre parlèrent contradictoirement. Les Corcyréens s’exprimèrent ainsi :

Chap. 32. « Il est juste, Athéniens, que des peuples à qui l’on n’est redevable ni d’aucun service signalé, ni d’aucune alliance précédemment contractée, s’ils viennent, comme nous aujourd’hui, réclamer des secours, prouvent avant tout que leurs demandes offrent des avantages à ceux qu’ils implorent, que du moins elles ne seront pas nuisibles ; ensuite, que l’on peut compter sur leur reconnaissance. S’ils n’établissent rien de tout cela, qu’ils ne s’offensent pas d’un refus. Or, les Corcyréens nous ont envoyé demander votre alliance, persuadés que nous pourrons satisfaire sur tous ces points. Mais malheureusement ce même système politique qui occasionne tous nos maux, nous empêche de vous convaincre de nos besoins. En effet, nous qui jusqu’ici, de notre plein gré, ne fûmes jamais alliés de personne, nous venons maintenant implorer l’alliance d’autrui ; et cela, quand, engagés dans une guerre contre Corinthe, nous nous trouvons, par suite de notre système, dans un entier délaissement. Ce qui nous semblait de la modération, notre répugnance à partager avec des alliés les hasards des combats, n’était évidemment qu’imprudence et faiblesse. À la vérité, c’est avec nos seules ressources que, dans une bataille navale, nous avons repoussé les Corinthiens : mais à présent qu’ils se préparent à nous attaquer avec un plus formidable appareil, rassemblé du Péloponnèse et du reste de l’Hellade ; à présent que nous nous voyons dans l’impuissance, réduits à nos propres forces, de sortir victorieux de la lutte, et qu’un grand péril menacerait toute l’Hellade à-la-fois, s’ils parvenaient à nous asservir, nous sommes dans la nécessité de demander du secours à vous-mêmes, et à tous ceux dont nous pouvons en attendre ; et l’on doit nous pardonner si, par erreur de jugement, et non par vice de cœur, nous osons tenir une conduite opposée à notre première insouciance.

Chap. 33. » La circonstance qui nous rend vos secours nécessaires, vous sera, si nous les obtenons, utile sous bien des rapports. D’abord vous secourrez un peuple qui souffre une injustice et n’en a pas commis ; ensuite, en nous accueillant quand nous sommes exposés à perdre ce que les hommes ont de plus cher, vous accorderez le plus grand des bienfaits et déposerez dans nos cœurs le germe fécond d’une éternelle reconnaissance. Et d’ailleurs nous possédons une marine qui, après la vôtre, tient le premier rang. Or, considérez quelle plus rare faveur de la fortune, quoi de plus affligeant pour vos ennemis, que de voir une puissance dont vous n’auriez pas cru acheter la jonction trop cher par de riches trésors et une vive reconnaissance, s’offrir à vous d’elle-même, se mettre dans vos mains, sans vous causer ni dangers, ni dépense, et, de plus, vous assurer près du grand nombre une haute de réputation de vertu, la gratitude de ceux que vous défendrez, et, pour vous-mêmes, de la force : avantages qui, dans tous les temps, ne se sont offerts réunis qu’à