Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
THUCYDIDE, LIV. I.

Chap. 135. Les Athéniens, sur ce que le dieu avait jugé les Lacédémoniens coupables d’un sacrilége, leur ordonnèrent de l’expier. Les Lacédémoniens envoyèrent de leur côté des députés à Athènes, chargés d’accuser Thémistocle de n’avoir pas été moins favorable aux Mèdes que Pausanias : ce qu’ils avaient découvert dans le procès de ce général. Ils demandaient qu’il subit la même punition. Thémistocle était alors éloigné de sa patrie par un décret d’ostracisme : domicilié à Argos, il faisait des voyages dans le reste du Péloponnèse. Les Athéniens consentirent à la demande, et, d’accord avec les Lacédémoniens, qui se montraient disposés à le juger avec eux, ils envoyèrent des gens avec ordre de l’amener quelque part qu’ils le trouvassent.

Chap. 136. Thémistocle, informé à temps, quitta le Péloponnèse pour se réfugier chez les Corcyréens, dont il était le bienfaiteur : mais ils lui représentèrent qu’ils craignaient, en le gardant chez eux, de s’attirer l’inimitié d’Athènes et de Lacédémone, et ils le transportèrent sur le continent qui fait face à leur île. Toujours poursuivi par ceux qui le cherchaient et qui s’informaient de tous les lieux où il choisissait un asile, il se vit contraint, ne pouvant mieux, à se réfugier chez Admète, roi des Molosses, qui n’était pas son ami. Ce prince était absent. Thémistocle se rendit le suppliant de la femme d’Admète, qui lui conseilla de s’asseoir près du foyer, tenant leur enfant dans ses bras. Le roi arriva peu de temps après : le suppliant se fit connaître. Il s’était montré plusieurs fois contraire à des demandes que ce prince avait adressées aux Athéniens : il le pria de ne pas se venger d’un infortuné qui venait lui demander un refuge, ce serait maltraiter un homme maintenant plus faible que lui ; la générosité ne permettait que de tirer une vengeance égale et de ses égaux. Après tout, si Admète avait éprouvé de sa part quelque opposition, il s’agissait d’objets de peu d’importance et non de la vie ; mais que s’il le livrait (et il dit par quels ordres et pour quelles raisons il était poursuivi), c’était lui ravir toute espérance de salut. À ces mots, Admète fit relever Thémistocle qui continuait de tenir l’enfant dans ses bras, manière toute puissante de supplier chez les Molosses.

Chap. 137. Peu de temps après arrivèrent les députés de Lacédémone et d’Athènes. Ils dirent bien des choses et n’obtinrent rien. Admète ne livra pas Thémistocle, le laissa partir pour se rendre auprès du roi, et l’envoya par terre à Pydna, qui appartenait à Alexandre : c’était la route qu’il devait prendre pour gagner l’autre mer. Thémistocle trouva dans le port de cette ville un vaisseau marchand qui allait dans l’Ionie ; il en profita et fut poussé par la tempête au camp des Athéniens qui assiégeaient Naxos. L’équipage ne le connaissait pas : mais la crainte l’obligea de découvrir au pilote qui il était et pourquoi il fuyait, lui déclarant que sur son refus de favoriser l’évasion, il l’accuserait de s’en être rendu complice à prix d’argent : il l’assura qu’il n’y avait rien à risquer, pourvu que personne ne sortît en attendant qu’on pût faire route ; que s’il consentait à le servir, il en serait dignement récompensé. Le pilote fit ce qu’on lui demandait, se tint en rade à l’écart, au-dessus du camp des Athéniens, et fit voile pour Éphèse. Là, Themistocle lui fit présent d’une somme considérable ; car ses amis d’Athènes ne tardèrent pas à lui faire passer de l’argent qu’il avait soustrait et déposé secrètement à Argos.

Il gagna l’intérieur des terres avec un