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THUCYDIDE, LIV. I.

et nos transfuges dévasteront une partie de notre territoire : mais nous enfermeront-ils de murs ? nous empêcheront-ils d’aller par mer jusque chez eux, et d’user de représailles avec ces flottes qui nous donnent une évidente supériorité ? Notre habileté dans la marine a fait de nous de meilleurs soldats de terre, que leur expérience dans les guerres du continent ne les a rendus bons marins ; et cette dernière science, ils l’ajouteront difficilement à la première. Si nous-mêmes, depuis la guerre médique, nous nous y adonnons sans exceller encore, comment donc de pauvres laboureurs, sans connaissance de la marine, et que même on ne laissera pas s’exercer, parce que toujours des flottes considérables les tiendront en arrêt, pourront-ils se signaler par de grands exploits ? Peut-être se hasarderaient-ils contre quelques flottilles, enhardissant leur impéritie par la multitude de leurs vaisseaux ; mais emprisonnés par une flotte entière, ils se tiendront en repos : le défaut d’exercice entretiendra et accroîtra encore leur ignorance, et l’ignorance leur timidité. La marine est un art comme un autre : il ne faut pas qu’on s’y applique en passant et par occasion : elle veut être l’objet d’une étude exclusive.

Chap. 143. » Si, avec les trésors de l’Olympie et des Delphiens, ils tentaient de nous débaucher nos matelots étrangers, en leur proposant une plus haute solde, et qu’il nous fût impossible de leur tenir tête en nous embarquant nous et nos métèques, nous serions bien malheureux. Mais nous et nos métèques nous saurons leur résister ; et de plus, ce qui donne une grande force, nous trouverons dans nos citoyens des pilotes, et tous les gens de l’équipage, et meilleurs et plus nombreux que n’en pourrait fournir tout le reste de l’Hellade ensemble. Croyez vous, d’ailleurs, qu’aucun étranger se décide, avide de périls, à se bannir lui-même de sa patrie, à s’associer avec de moindres espérances à leurs combats, par l’appât d’une plus forte solde à recevoir pendant quelques jours ? Telle est à peu près, du moins suivant moi, la situation du Péloponnèse. La nôtre, exempte des mêmes vices, a de grands avantages, auxquels les leurs ne sont pas comparables. S’ils entrent dans notre pays avec une armée de terre, notre flotte ira les chercher dans le leur. Et ce n’est pas une même chose qu’une partie du Péloponnèse soit ravagée, ou l’Attique tout entière : ils n’auront pas en dédommagement d’autres pays qu’ils puissent occuper sans combattre ; et nous, combien n’en avons-nous pas, et dans les îles, et sur le continent ! C’est en effet un immense avantage que l’empire de la mer. Je vous en fais juges : si nous étions insulaires, qui serait plus que nous à l’abri de toute attaque ? Aujourd’hui donc, nous rapprochant le plus possible de cet état par la pensée, ne songeons plus ni à notre territoire, ni à nos maisons de campagne. La mer et notre ville, voilà ce que nous devons conserver. Mais n’allons pas, imprudemment irrités du ravage de notre territoire, livrer bataille aux Péloponnésiens, beaucoup plus nombreux que nous. En effet, de deux choses l’une : ou nous les combattrons, et alors ils reviendront en aussi grand nombre, et nous livreront un second combat ; ou nous aurons quelque désavantage que suivra la perte de nos alliés, qui font toute notre force ; car ils ne se tiendront pas en repos s’ils ne nous savent pas en état de faire marcher contre eux des armées. Encore une fois, ne gémissez pas sur le ravage de votre territoire, sur la ruine de vos maisons de campagne. Réservons nos regrets pour la perte des hommes : car ce

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