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THUCYDIDE, LIV. IV.

l’espèce de droit que donne la fortune, le droit du plus fort ; l’autre est une trahison, et dénote une âme naturellement injuste. Telle est notre circonspection, même en ce qui touche nos intérêts les plus chers.

Chap. 87. » Après les sermens, quel gage plus sur de sécurité pourrons-nous offrir, que la comparaison de nos actions avec nos discours ! Nécessairement elles vous persuadent que notre véritable intérêt est de nous conduire comme je vous l’ai dit. Si, malgré toutes nos promesses, vous prétendez qu’il vous est impossible de vous unir à nous, mais qu’attendu votre bienveillance pour notre république, vous êtes en droit de nous refuser sans avoir à craindre de notre part aucun ressentiment ; si vous dites que la liberté ne vous paraît pas exempte de danger ; qu’à présent il est juste de l’offrir à ceux qui peuvent l’accepter, mais non de forcer personne à la recevoir malgré soi ; je prendrai à témoin les dieux et les héros de ce pays, que, venu pour faire du bien, je n’ai pu vous persuader ; et, par le ravage de votre territoire, je saurai vous contraindre d’être libres. Je ne croirai plus alors commettre une injustice, et l’équité de ma conduite sera fondée sur deux motifs irrésistibles : l’intérêt de Lacédémone, qui ne doit pas, avec toute votre prétendue bienveillance, voir vos richesses, si vous refusez son alliance, portées en tribut aux Athéniens pour lui nuire ; l’intérêt commun des Hellènes, qui ne doivent pas trouver en vous un obstacle à leur affranchissement.

» Cet obstacle, nous ne pourrions raisonnablement le tolérer. Il est bien vrai que nous ne devons affranchir personne par la force, à moins que l’utilité générale ne le commande ; mais, comme nous n’avons point de prétention à l’empire, et que toute notre ambition se borne à contenir celle des autres, ce serait de notre part une éclatante injustice, si, voulant procurer à tous les Hellènes le privilége de se gouverner par leurs lois, nous laissions impunie votre opposition à ce noble projet. Consultez donc là-dessus vos véritables intérêts : soyez les premiers d’entre les Hellènes à ressaisir la liberté ; assurez-vous une gloire impérissable ; à l’avantage de vous garantir d’un dommage personnel, joignez l’honneur de donner à votre ville le plus beau des titres, le titre de ville indépendante et libre. »

Chap. 88. Telles furent les importantes considérations que présenta Brasidas. Les citoyens d’Acanthe délibérèrent pour et contre sa proposition, et en vinrent aux suffrages, qu’ils donnèrent secrètement. Comme Brasidas avait apporté des raisons persuasives, et qu’ils craignaient pour leurs récoltes, la plupart furent d’avis d’abandonner le parti d’Athènes. Ils exigèrent de ce général le serment qu’avaient fait, en l’envoyant, les magistrats de Lacédémone, de laisser vivre sous leurs propres lois ceux qu’il recevrait dans l’alliance de sa patrie. À cette condition, ils laissèrent entrer son armée. Peu de temps après, Stagire, autre colonie d’Andros, imita cette défection. Ces événemens se passèrent pendant l’été.

Chap. 89. Dès le commencement de l’hiver suivant, certaines places de la Béotie devaient être livrées aux généraux athéniens Hippocrate et Démosthène : l’un, avec la flotte, se serait rendu à Syphes ; l’autre, à Délium. Mais on se trompa sur les jours où il fallait que les deux généraux se missent en campagne. Démosthène aborda le premier à Syphes, et ne réussit point, quoiqu’il eût sur sa flotte les Acarnanes et beaucoup d’alliés du voisinage : le projet avait été découvert par un Phocéen de Phanotée,