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THUCYDIDE, LIV. VI.

Sicile. Il faudrait néanmoins, non pas s’enorgueillir des revers de ses ennemis, mais seulement se croire en sûreté lorsqu’on a dompté l’opinion qu’ils avaient de leur supériorité. Croyons que les Lacédémoniens, sensibles à l’affront qu’ils ont reçu, ne sont occupés qu’à chercher tous les moyens de l’effacer, et déjà voudraient, s’il était possible, profiter, pour nous affaiblir, de la circonstance présente : d’autant plus impatiens dans leur désir de vengeance, qu’ils avaient joui plus long-temps et à plus de frais de cette haute réputation de valeur. Si donc nous sommes sages, nous oublierons ces habitans de la Sicile, ces Égestains, ces barbares, pour songer à nous défendre vigoureusement contre une république dont l’oligarchie attente à notre liberté.

Chap. 12. » Souvenons-nous qu’à peine échappés aux ravages d’une maladie cruelle et de la guerre, nous commençons seulement à rétablir nos finances, à voir notre population se renouveler. La justice nous commande d’employer nos ressources ici même et à notre profit, non en faveur de ces fuyards qui mendient nos secours, eux qui ont si grand intérêt à mentir, eux qui, après un succès obtenu à nos seuls risques, sans qu’ils aient rien fourni que des paroles, refuseront de reconnaître nos services, ou qui, venant à échouer, entraîneront leurs amis dans leur ruine. Si tel d’entre vous, fier d’être élu l’un des chefs, vous engage à cette expédition, ne considérant que son intérêt personnel, d’ailleurs trop jeune encore pour commander, mais avide du commandement pour faire admirer les chevaux qu’il a nourris et trouver dans sa nouvelle dignité quelque moyen nouveau de signaler son faste, ne le mettez pas en état de briller en particulier au péril de la république ; mais croyez que de tels citoyens nuisent à l’état, en se ruinant eux-mêmes, et qu’il s’agit ici d’une affaire très grave, qui ne doit être ni délibérée par un jeune homme, ni décidée avec légèreté.

Chap. 13. » En le voyant environné de complaisans qui prennent place ici pour l’appuyer, j’éprouve un sentiment de crainte, et, de toutes mes forces, j’exhorte les vieillards assis près des gens de cette faction à ne point appréhender le reproche de timidité en refusant de voter la guerre. Qu’ils ne se laissent pas infecter de la maladie de cette jeunesse, si prompte à se passionner pour tous les objets hors de sa portée. Bien persuadés qu’on réussit peu par la passion, beaucoup par la prévoyance, qu’ils se prononcent hardiment en faveur de la patrie, qu’on précipite dans les plus grands dangers qu’elle ait jamais courus ; qu’ennemis de cette faction, ils fassent décréter que c’est aux Siciliens à vider entre eux leurs différends, en se renfermant dans des limites que nous ne pouvons leur contester, le golfe ionique en côtoyant la terre et la mer de Sicile, en gagnant le large. Que l’on dise en particulier aux Égestains que, si d’abord ils ont entrepris la guerre contre Sélinonte sans l’intervention d’Athènes, ils peuvent bien aussi la terminer sans elle. Enfin ne prenons plus, suivant notre usage, des alliés que nous défendrons dans le malheur, et dont nous ne pourrions, au besoin, obtenir aucun secours.

Chap. 14. » Et toi, prytane, si tu crois de ton devoir de veiller aux intérêts de la république, si tu veux être bon citoyen, appuie cet avis, et consulte une seconde fois l’opinion des Athéniens. Si tu crains de recueillir les voix de nouveau, songe qu’une violation de formes, autorisée par les regards de tant de témoins, te laisse irréprochable ;