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THUCYDIDE, LIV. VI.

à plus forte raison ne sauraient-ils y échapper au sein de la Sicile tout entière leur ennemie ; car enfin ils s’y trouveront relégués dans un camp formé de vaisseaux et de petites tentes, pourvu à peine du plus strict nécessaire, et d’où notre cavalerie ne leur permettra guère de s’éloigner. Ou plutôt je pense qu’ils ne pourront pas même prendre terre, tant nos forces, à mon avis, seront supérieures.

Chap. 38. » Ce que je dis, les Athéniens le savent comme moi, et je suis sûr qu’ils songent uniquement à conserver ce qu’ils possèdent. Mais il se trouve ici des gens qui disent ce qui n’est point, ce qui ne sera point, et ce n’est pas d’aujourd’hui ; à chaque occasion qui s’en présente, ils effraient le peuple par de semblables discours, par d’autres encore plus dangereux, et même par des voies de fait. Leur but est de se placer à la tête de la république : combien je crains qu’à force de tentatives ils ne réussissent un jour, et que nous ne sachions ni nous mettre en garde contre leurs desseins avant d’en subir les funestes résultats, ni les punir quand ils seront connus ! Aussi, très souvent, en proie aux séditions, obligée de soutenir des combats moins contre les ennemis du dehors que contre elle-même, et quelquefois soumise à des tyrans et à des pouvoirs usurpés, notre république jouit rarement de la tranquillité. Si vous suivez mes conseils, je tâcherai que de tels maux ne l’affligent pas de nos jours. Vis-à-vis de la multitude, j’emploierai la persuasion ; je déploierai les châtimens contre les artisans de semblables trames, non seulement contre des hommes évidemment coupables qu’il est difficile de prendre sur le fait, mais contre ceux qui méditent le crime sans pouvoir le consommer : car c’est peu de se défendre contre les attentats d’un ennemi ; il faut de plus se prémunir contre ses intentions même, de crainte de tomber dans ses embûches, si, à l’avance, on ne s’en est pas garanti. Quant aux partisans de l’oligarchie, je les convaincrai de leurs perfides projets, j’éclairerai leur conduite, je les instruirai de leur devoir ; et c’est, je crois, le meilleur moyen de les détourner du crime.

» Mais vous, jeunes gens, car c’est une question que souvent je me suis faite, que prétendez-vous ? Avoir déjà part au gouvernement ? La loi le défend. Elle vous écarte des charges, parce que vous ne sauriez les remplir, mais non pour vous en tenir éloignés quand vous en deviendrez capables. Voulez-vous n’être pas réduits à l’égalité avec le plus grand nombre ? Et comment serait-il juste que des hommes qui ont la même existence ne jouissent pas des mêmes priviléges ?

Chap. 39. » Quelqu’un dira que la démocratie est absurde et inique, et que les riches gouvernent mieux. Je réponds d’abord que le mot démocratie comprend la république tout entière, et que l’oligarchie n’en désigne qu’une portion ; ensuite, que les riches sont excellens pour garder les richesses, les gens sages pour donner des conseils, et le peuple pour juger après avoir entendu l’exposé des affaires ; et que ces différentes classes de citoyens, considérées soit séparément soit collectivement, trouvent toutes l’égalité parfaite dans la démocratie, au lieu que l’oligarchie n’appelle le grand nombre qu’au seul partage des dangers, et, non contente de ravir la plus grande partie des avantages, les usurpe tous ; odieux privilége, auquel aspirent ici des hommes puissans et des jeunes gens, et qui ne peut se maintenir dans une grande république. Certes, vous êtes ou les plus insensés des hommes, si vous ne voyez pas que c’est à votre perte que vous courez ; ou bien les plus imprudens et