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THUCYDIDE, LIV. VI.

soupçonne et tous ceux sur qui sont trouvés des poignards ; car on n’avait coutume d’apporter à cette cérémonie que la pique et le bouclier.

Chap. 59. Un chagrin amoureux avait fait concevoir le projet : troublés par une alarme subite, Harmodius et Aristogiton l’exécutèrent avec précipitation et en désespérés. La tyrannie en devint plus pesante. Hippias, dès-lors plus craintif, donna la mort à quantité de citoyens, et en même temps porta ses regards au dehors, cherchant s’il ne pourrait pas, de quelque endroit que ce fût, se mettre en sûreté en cas de révolution. Il maria, lui Athénien, sa fille Archédice à un habitant de Lampsaque, Aïantide, fils d’Hippoclès, tyran de Lampsaque, parce qu’il savait cette famille en grand crédit auprès du roi Darius. On voit à Lampsaque le monument d’Archédice, avec cette inscription : « Ici est déposée la cendre d’Archédice, fille d’Hippias, le plus vaillant des Hellènes de son temps : fille, épouse, sœur et mère de tyrans, elle n’en avait pas plus d’orgueil. »

Hippias exerça encore trois années la tyrannie à Athènes, et fut déposé dans le cours de la troisième, par les Lacédémoniens et les Alcméonides, exilés d’Athènes. Il se retira, sur la foi publique, à Sigéum, et de là à Lampsaque, près d’Aïantide, d’où il passa auprès de Darius ; et vingt ans après, avancé en âge, il combattit pour les Mèdes à la bataille de Marathon.

Chap. 60. Le peuple, en réfléchissant sur ces événemens, et rappelant à sa mémoire ce qu’il en avait entendu raconter, était dur et soupçonneux pour ceux qu’on accusait de la profanation des mystères. Partout il voyait des conjurations en faveur de l’oligarchie et de la tyrannie ; et, dans sa colère, déjà il avait jeté en prison quantité de citoyens, et des plus distingués. Loin de se calmer, s’irritant chaque jour de plus en plus, il encombrait les prisons. Dans ces circonstances ; un des prisonniers, celui de tous qui paraissait le plus coupable, reçut d’un de ses compagnons de captivité le conseil de porter une dénonciation, vraie ou fausse, on l’ignore ; car, ni dans le temps même, ni dans la suite, personne n’a rien su dire de certain sur les auteurs de ce qui s’était passé. Enfin l’on persuada à ce prisonnier qu’il devait, fût-il innocent, s’assurer l’impunité, et tout-à-la-fois pourvoir à son propre salut et délivrer la république des soupçons qui l’agitaient ; qu’il y avait bien plus de sûreté à convenir de tout hardiment, qu’à courir les risques d’un jugement en persistant à nier. Il s’accusa donc lui-même et plusieurs autres avec lui de la mutilation des hermès. Le peuple, qui avait regardé jusque là comme un grand malheur de ne pas connaître ceux qui tramaient contre lui, apprit avec joie ce qu’il croyait être la vérité. On relâcha le délateur et ceux qui étaient avec lui et qu’il n’accusa pas. On jugea les accusés ; on punit de mort ceux que l’on tenait, et l’on mit à prix la tête de ceux qui avaient fui. On ignore si les malheureux qui périrent furent justement punis ; mais au moins, dans la circonstance, le reste des citoyens fut soulagé.

Chap. 61. Les Athéniens recevaient avidement les dénonciations contre Alcibiade, toujours excités par les ennemis qui l’avaient attaqué avant son départ. Se croyant bien instruits sur l’affaire des hermès, la profanation des mystères leur parut bien plus évidemment alors avoir le même motif, celui de conspirer contre l’autorité du peuple. En effet, dans ce même temps et au milieu des publiques alarmes, un corps d’armée, assez peu considérable, s’était avancé

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