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THUCYDIDE, LIV. VII.

tre armée, et Gylippe part lui-même pour les villes de la Sicile. Son dessein est d’engager celles qui sont neutres à se déclarer, et de tirer des autres, s’il est possible, de nouvelles troupes de terre et de mer. Ils veulent, comme je l’apprends, essayer à-la-fois nos lignes par terre avec de l’infanterie, et par mer avec une flotte. Et que personne ne trouve étrange qu’ils pensent à nous attaquer même par mer : ils savent que notre flotte, d’abord si imposante, et qui n’offrait que des vaisseaux bien appareillés et des équipages sains, n’a plus maintenant que des vaisseaux pourris, pour avoir trop long-temps tenu la mer, et des équipages ruinés. Nous ne pouvons mettre les bâtimens à sec pour les radouber à la vue de la flotte ennemie, aussi forte et même plus nombreuse que la nôtre, et qui se montre sans cesse disposée à nous assaillir. Nul doute qu’elle n’en ait le dessein. Il ne tient qu’aux ennemis de nous attaquer ; il leur est plus facile de mettre leurs bâtimens à sec, car ils ne sont pas obligés de se tenir en rade contre d’autres vaisseaux.

Chap. 13. » Nous, au contraire, nous ne pourrions entreprendre une attaque, quand nous aurions une flotte supérieure, et que nous ne serions pas forcés, comme à présent, de tenir tous nos vaisseaux sur la défensive. Pour peu que nous retranchions de notre garde, nous manquerons de subsistances, n’ayant déjà que trop de peine à faire passer nos convois à la vue de Syracuses. Voilà ce qui a ruiné et ce qui continue de ruiner nos équipages ; car nos matelots sont tués par la cavalerie dès qu’ils s’écartent pour aller au loin chercher du bois, du fourrage, de l’eau ; quant aux valets, comme les deux camps sont à la vue l’un de l’autre, ils désertent. Des étrangers qu’on a contraints de monter nos vaisseaux, une partie se disperse dans les villes ; ceux qu’on a gagnés par l’appât d’une solde, et qui croyaient venir plutôt au pillage qu’au combat, voyant à présent, contre leur attente, et la flotte et tout l’appareil guerrier des ennemis, se retirent, les uns déclarant nettement qu’ils ne veulent plus servir, les autres allant où ils peuvent, ce qui n’est pas difficile, car la Sicile est d’une grande étendue ; d’autres, achetant des esclaves d’Hyccara, obtiennent des triérarques la permission de se faire remplacer, et dès-lors plus de précision dans la manœuvre.

Chap. 14. » Je vous écris ce que vous ne pouvez ignorer, que les équipages ne conservent pas long-temps leur première ardeur, et qu’il est peu de matelots qui sachent diriger un vaisseau et ramer de concert. Le plus embarrassant, c’est que, malgré le commandement dont vous m’avez investi, il n’est pas en mon pouvoir d’obvier à ces inconvéniens (car vous êtes des esprits difficiles à gouverner), et que d’ailleurs nous ne savons d’où tirer des recrues pour compléter les équipages. Tandis que les ennemis trouvent des facilités de toutes parts, nous sommes réduits à prendre sur la masse que nous avons amenée, et ce que nous avons de forces réelles, et ce que nous perdons. Naxos et Catane, maintenant nos alliées, sont hors d’état de subvenir à nos besoins. Si, pour comble de malheur, les places de l’Italie qui nous fournissent des subsistances nous délaissent, instruites de notre situation et sachant que vous ne nous secourez pas, nous serons réduits aux dernières extrémités et vaincus sans combats.

» Je voudrais vous donner des nouvelles plus agréables ; mais je ne puis vous en écrire de plus importantes puisqu’il faut que vous soyez bien informés de l’état de votre armée, pour en délibérer. D’ailleurs je connais votre caractère ;