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XÉNOPHON, LIV. I.

ses, il leur donna des commandemens dans la contrée qu’il conquit, les distingua par d’autres récompenses, et montra qu’il pensait que les richesses et le honneur étaient faits pour les braves, et que les poltrons n’étaient bons qu’à leur servir d’esclaves. Aussi c’était à qui courrait aux périls dès qu’on espérait être vu de Cyrus.

Quant à la justice, s’il voyait quelqu’un jaloux de la pratiquer ouvertement, il faisait tous ses efforts pour le rendre plus riche que ceux qui par l’injustice se montraient épris d’un vil gain. Son administration en beaucoup d’autres points avait pour base l’équité, et il en tirait cet avantage qu’il commandait une armée véritable ; car les généraux, et les autres chefs grecs n’accouraient pas à lui par les motifs d’une cupidité vulgaire, mais parce qu’ils avaient reconnu que servir Cyrus avec distinction, et lui obéir avec exactitude, leur était plus favorable que la solde qu’on leur payait par mois. Si quelqu’un exécutait bien l’ordre qu’il avait donné, il ne laissait jamais ce zèle sans récompense. Aussi disait-on de lui qu’il était le prince le mieux servi en tout genre. Voyait-il un homme économe sévère, mais avec justice, administrer bien le pays qui lui était confié, et en tirer de grands revenus, il ne lui ôtait jamais rien, il lui donnait au contraire encore plus ; en sorte qu’on travaillait avec joie, qu’on acquérait avec sécurité, et personne ne dissimulait à Cyrus sa fortune ; car il ne paraissait pas envier les richesses qu’on avouait. C’était des trésors qu’on célait qu’il cherchait à s’emparer. On convient que de tous les mortels il était celui qui avait le plus l’art de cultiver ceux qu’il faisait ses amis, qu’il savait lui être affectionnés, qu’il jugeait capables de le seconder dans tout ce qu’il voudrait entreprendre ; et comme il croyait avoir besoin qu’ils l’aidassent, il tâchait de leur rendre l’aide la plus puissante dès qu’il leur connaissait un désir.

Je crois que de tous les hommes il est celui qui, par beaucoup de raisons, a reçu le plus de présens. Mais il les distribuait tous, principalement à ses amis, consultant les goûts et les besoins urgens de chacun. Lui envoyait-on de riches parures ? Soit qu’elles fussent d’usage à la guerre, soit qu’elles fussent de simple décoration, on prétend qu’il disait que son corps ne pouvait pas les porter toutes, et qu’il regardait comme le plus bel ornement d’un homme d’avoir des amis bien ornés. Il n’est point étonnant qu’il ait vaincu ses amis en munificence, étant plus puissant qu’eux. Mais qu’en attentions, en désir d’obliger, il les surpassât de même, c’est ce qui me paraît plus admirable. Car souvent il leur envoyait des vases à demi-pleins de vin, lorsqu’il en avait reçu d’excellent, leur faisant dire que depuis long-temps il n’en avait point trouvé de meilleur. « Cyrus vous l’envoie donc, et vous prie de le boire aujourd’hui avec vos meilleurs amis. » Souvent aussi il leur envoyait des moitiés d’oies, de pains ou quelque mets dont il avait essayé, et chargeait le porteur de leur dire : « Cyrus a trouvé ceci excellent. Il veut que vous en goûtiez aussi. » Quand le fourrage était très rare et que par le nombre de valets qu’il avait et le soin qu’il y mettait, il avait pu s’en procurer, il en faisait distribuer à ses amis et leur recommandait d’en donner à leurs chevaux de monture, afin que ces chevaux n’étant point affaiblis par la faim les portassent mieux. Il appelait ses amis en route, s’il devait passer à la vue de beaucoup de monde, et leur parlait d’un air occupé, pour montrer quels étaient ceux qu’il honorait de sa confiance. D’après ce que j’entends dire, je juge