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que par la force, et parvint à se faire regarder comme l’arbitre de la Grèce. On s’aperçut bientôt qu’il voulait dominer, et les Grecs divisés entre eux essayèrent de se réunir dans ce danger commun pour s’opposer aux projets de Philippe ; mais ce roi devait réussir parce qu’il suivait un plan bien arrêté, et que les Grecs n’en avaient aucun. C’est au milieu de ce conflit d’ambition d’une part, de rivalités et de jalousies de l’autre, que fut livrée la bataille de Chéronée, qui devait décider en un jour de la liberté des républiques de ce pays.

Les Thébains, avec le bataillon sacré, occupaient l’aile droite des confédérés (338 av. not. ère) ; les Athéniens la gauche ; les Corinthiens et les habitans du Péloponnèse le centre. Alexandre, fils du roi, à la tête d’une troupe d’élite de jeunes Macédoniens, soutenus par la cavalerie thessalienne, formait l’aile gauche de Philippe ; au centre se trouvaient ses alliés bien inférieurs à ses troupes pour le courage et la discipline ; le roi commandait en personne l’aile droite où était placée sa redoutable phalange. L’armée de Philippe montait à environ trente-deux mille hommes ; celle des alliés n’allait pas au-delà de trente mille, animés du plus noble motif pour lequel les hommes puissent combattre, mais moins exercés que les Macédoniens.

Philippe se proposait d’attaquer les Athéniens obliquement avec sa phalange, et de protéger son centre qui était la partie la plus faible de son armée, lorsque l’impétuosité d’Alexandre qui, avec son corps d’élite, s’élança sur la cohorte sacrée des Thébains, dérangea son ordre de bataille. Les Athéniens jugèrent que le centre de l’armée du roi de Macédoine, privé de l’appui de son aile gauche, ne pourrait résister à une attaque vigoureuse ; ils s’y portèrent, et en un instant parvinrent à l’enfoncer. Le danger de Philippe était imminent. Séparé avec sa phalange du reste de son armée, une attaque sur son flanc, faite avec intelligence, pouvait décider du sort de la bataille ; mais les chefs des coalisés, divisés d’opinions dans un moment si décisif, se laissèrent aller à la poursuite de l’ennemi sans s’apercevoir, comme cela arrive trop souvent, que la confusion devenait plus grande chez eux que chez les fuyards.

Philippe vit cette faute avec le mépris d’un général habile. Il fit observer froidement à ceux qui l’environnaient, que les Athéniens ne savaient pas vaincre ; et feignant de fuir devant eux afin d’augmenter leur désordre, il gagna une éminence voisine. Alexandre avait rompu la bande sacrée des Thébains ; Philippe rallia quelques troupes, tomba sur les Athéniens à qui le succès inspirait une confiance imprévoyante, et les défit totalement.

Ce fut là que Démosthène ternit par sa lâcheté la gloire qu’il avait acquise à la tribune. Cet orateur magnifique, qui ne cessait d’encourager ses compatriotes à défendre leur liberté, se sauva dès la première attaque, et l’on rapporte plaisamment qu’embarrassé dans sa fuite par quelques ronces qui gênaient son passage, il demanda grâce d’une voix lamentable, s’imaginant avoir affaire aux ennemis.

Il eût été de l’intérêt général de la Grèce d’étouffer la Macédoine dans son berceau, et cela serait arrivé si les Lacédémoniens avaient joint toutes leurs forces à celles d’Athènes pour combattre dans les plaines de Chéronée ; mais jamais aucun peuple ne fit une faute plus irréparable. Ils restèrent tranquilles tandis que Philippe vainquait les Athéniens, et lorsque ensuite ils voulurent seuls s’opposer aux efforts de la Macédoine, ils perdirent en un seul jour, à la bataille de Sela-