Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
493
XÉNOPHON, LIV. II.

pes que nous voudrons combattre ? Que dis-je ! Il en est que vous ne passeriez même jamais sans notre secours. Supposons qu’aucun de ces moyens ne nous réussisse, les fruits de la terre peuvent-ils résister au feu ? Nous brûlerons tout devant vous, et nous vous opposerons la famine pour adversaire. Pouvez-vous, quelque braves que vous soyez, le combattre ? Comment, ayant autant de moyens de vous faire la guerre sans courir le moindre danger, choisirions-nous entre tant de manières la seule qui soit impie envers les dieux et qui nous couvrirait de honte devant les hommes, qui ne convient qu’à des gens sans ressource, plongés dans l’embarras, pressés par la nécessité, qu’à des scélérats qui veulent retirer quelque avantage de leur parjure envers les dieux, et de leur infidélité envers les humains ? Nous ne sommes pas à ce point, Cléarque, insensés et déraisonnables. Pourquoi donc, lorsqu’il nous était facile de vous détruire, ne vous avons-nous pas attaqués ? Sachez que vous le devez au désir vif que j’ai eu de gagner l’amitié des Grecs, et de revenir dans mon gouvernement, m’étant assuré, par mes bienfaits, l’attachement de ces troupes, sur lesquelles Cyrus, en les menant dans la Haute-Asie, ne comptait, que parce qu’il les stipendiait. Vous m’avez désigné quelques-uns des avantages que je puis retirer de votre affection. Vous avez omis le plus important, et je le sens. Il est permis au roi seul de porter la tiare droite sur sa tête ; mais avec votre assistance, un autre a peut-être droit de la porter ainsi dans son cœur. »

Ce discours parut sincère à Cléarque : « Ceux donc, reprit-il, qui, tandis que nous avons des motifs aussi puissans d’être amis, tâchent par calomnies de susciter la guerre entre nous, méritent les derniers supplices. — Pour moi, dit Tissapherne, je dénoncerai ceux qui me disent que vous tramez des complots contre moi et contre mon armée. Je les nommerai à vos généraux et à vos chefs de lochos, s’ils veulent venir publiquement me trouver. — Je vous les amènerai tous, répliqua Cléarque, et je vous déclarerai quiconque me tient sur vous de semblables discours. » Tissapherne, après cet entretien, fit beaucoup de caresse à Cléarque, et le retint à souper. Ce général étant retourné le lendemain au camp, parut persuadé des intentions pacifiques de Tissapherne, et publia ce que le satrape lui avait dit. Il ajouta qu’il fallait que les chefs invités pas Tissapherne se rendissent chez ce Perse, et que ceux des Grecs, qui seraient convaincus de calomnie, fussent punis comme traîtres, et mal-intentionnés pour leurs compatriotes. Il soupçonnait Menon de ce crime, sachant qu’Ariée et lui avaient eu une conférence avec Tissapherne ; que Menon, d’ailleurs, formait un parti contre lui, et, par une conduite insidieuse, voulait lui débaucher toute l’armée, et s’assurer par-là l’amitié de Tissapherne. Cléarque, de son côté, visait à s’attacher toutes les troupes, et à se défaire des rivaux qui l’inquiétaient. Quelques soldats furent d’un avis contraire à celui de Cléarque, et dirent qu’il ne fallait pas que tous les généraux et les chefs de lochos allassent chez Tissapherne, ni qu’on se fiât aveuglement à lui. Cléarque insista fortement jusqu’à ce qu’il eût fait décider qu’il irait cinq généraux et vingt chefs de lochos. Environ deux cents soldats les suivirent, comme pour aller acheter des vivres.

Quand ils furent arrivés à la tente du satrape, on fit entrer les cinq géné-