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XÉNOPHON, LIV. IV.

sage qui était vis-à-vis l’entrée des montagnes d’Arménie ; il feignit d’y vouloir traverser le fleuve pour envelopper la cavalerie qui en avait longé les bords. Quand les ennemis virent que le corps de Chirisophe passait le gué avec facilité, et que le détachement de Xénophon courait sur leurs derrières, ils craignirent d’être coupés, et fuirent à toutes jambes jusqu’au premier passage ; puis ayant gagné le chemin qui s’enfonçait dans les montagnes d’Arménie, ils le suivirent. Lycius, qui commandait le petit escadron des Grecs, et Eschine, qui avait à ses ordres les armés à la légère de la division de Chirisophe, voyant leur déroute, se mirent à leur poursuite. L’infanterie pesante les y exhortait, et leur criait qu’on les soutiendrait, et qu’elle gravirait avec eux sur la montagne. Chirisophe, après avoir passé, ne s’amusa pas à courir après la cavalerie ; mais en sortant du fleuve, il marcha droit à l’infanterie qui était postée sur les collines voisines : ce corps voyant sa cavalerie en fuite, et les hoplites grecs s’avancer pour le charger, abandonna les hauteurs qui dominaient le fleuve.

Xénophon, quand il eut remarqué que tout allait bien sur l’autre rive, revint au plus vite au gué que passait l’armée ; car on voyait déjà les Carduques descendre dans la plaine pour tomber sur les dernières troupes qui traverseraient. Chirisophe était alors maître des hauteurs. Lycius, et d’autres Grecs, en petit nombre, prirent, en poursuivant l’ennemi, ce qui était resté en arrière de ses bagages, et il s’y trouva des habits magnifiques et des vases à boire, précieux. Les équipages de l’armée grecque et les esclaves passaient encore ; Xénophon fit face aux Carduques et tourna les armes contre eux ; il ordonna aux chefs de former leurs lochos en colonnes par énomoties, puis de faire appuyer les énomoties sur celle de la gauche, jusqu’à ce que les boucliers se touchassent et qu’on présentât une ligne pleine à l’ennemi, le tout en ordre renversé ; en sorte que les chefs de lochos et les énomotarques se trouvassent du côté des Carduques, et les serre-files, du côte du fleuve.

Les Carduques, dès qu’ils virent que les équipages étaient passés, et qu’il ne restait que peu de troupes de l’arrière garde, qui paraissaient dénuées de secours, s’avancèrent contre elles au plus vite, chantant quelques hymnes barbares. Chirisophe, de son côté, se trouvant en sûreté, renvoie à Xénophon les armés à la légère, les frondeurs, les archers, et leur prescrit de faire ce que ce général ordonnera. Xénophon, qui les voit descendre et venir à lui, leur fait dire, par un aide-de-camp, de se tenir sur le bord de la rivière sans la passer, et lorsqu’il commencerait à entrer dans l’eau, de s’y jeter eux-mêmes en dehors de la ligne et sur les deux flancs, comme s’ils voulaient repasser le fleuve et charger les Carduques, tenant leurs javelots prêts à être lancés, et les archers ayant la flèche sur leur arc ; de menacer ainsi, mais de ne pas s’engager fort avant dans le fleuve. Il prescrit à son arrière-garde de courir sur l’ennemi, après avoir chanté le péan, dès que les pierres, lancées par les frondes, parviendront jusqu’à eux, retentiront sur leurs boucliers. Il ajoute qu’aussitôt qu’ils auront mis les Barbares en fuite, et que, des bords du fleuve, la trompette sonnera la charge, ils aient à faire demi-tour à droite et à courir de toutes leurs forces, les serre-files en tête de la ligne ; qu’ils passent ensuite le gué, chaque division marchant droit devant elle pour ne point s’embarrasser les uns les autres. « Que la honte de fuir ne vous retienne point, dit-il :