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XÉNOPHON, LIV. IV.

sorte de vivres excellens, des bestiaux, du blé, du vin vieux et d’un parfum exquis, du raisin sec et des légumes de toute espèce. Quelques Grecs s’étant écartés de leur cantonnement, dirent qu’ils avaient vu un camp et aperçu pendant la nuit beaucoup de feux. Les généraux jugèrent qu’il n’était pas sûr de cantonner dans des villages séparés, et qu’il fallait rassembler l’armée ; on la rassembla donc encore une fois, et l’on résolut de la tenir au bivouac. Pendant la nuit qu’elle y passa, il tomba une quantité excessive de neige ; elle couvrit les armes et les hommes qui étaient couchés, et raidit même les jambes des chevaux de bât. Hommes, bêtes, tout était engourdi : rien ne se relevait ; c’était un spectacle digne de compassion de voir tout couché et tout couvert de neige. Xénophon eut le premier le courage de se lever nu et de fendre du bois ; un autre Grec bientôt l’imita, lui prit des buches et se mit à en fendre aussi. Alors tous les soldats se relevèrent, firent du feu, et commencèrent à se frotter de matières grasses qu’ils trouvèrent en abondance dans ce pays et qui leur tinrent lieu d’huile d’olive, comme de saindoux, d’huiles tirées du sésame, d’amandes amères et des fruits du térébinthe. On y trouva aussi des essences faites des mêmes substances.

On résolut ensuite de renvoyer l’armée dans ses cantonnemens pour qu’elle fût à couvert. Les soldats coururent avec transport, et en jetant de grands cris de joie, retrouver un abri et des vivres. Tous ceux qui, en quittant leurs habitations, les avaient brûlées, en reçurent la peine, car ils furent mal logés et presqu’au bivouac. On détacha pendant la nuit Démocrate de Teménium avec quelques hommes sur les montagnes où les soldats, qui s’étaient écartés, disaient avoir vu des feux. Ce Grec passait pour avoir fait jusque-là des rapports très fidèles à l’armée, avoir constaté la réalité des faits véritables, et démontré chimériques ceux qui n’existaient pas. Il dit à son retour qu’il n’avait point vu de feux ; mais il ramena un homme qu’il avait arrêté, qui portait un arc semblable à ceux des Perses, un carquois et une hache telle qu’en ont les Amazones. On demanda au prisonnier de quel pays il était. « Je suis Perse, répondit-il, et envoyé de l’armée de Téribaze pour y faire porter des vivres. » On s’informa de lui quelle était la force de cette armée et pourquoi on l’avait assemblée. Il dit que Téribaze avait toutes les troupes de sa province, et de plus des Chalybes et des Taoques mercenaires ; il ajouta que ce général avait fait ces préparatifs pour attaquer les Grecs sur le sommet de la montagne à un défilé qui était le seul chemin par où ils pussent passer.

D’après ce rapport, les généraux furent d’avis de rassembler l’armée, et aussitôt, ayant laissé une garde commandée par Sophénète de Stymphale, ils marchèrent et prirent le prisonnier pour guide. Quand on fut au haut des montagnes, les armés à la légère s’étant avancés et ayant aperçu le camp de Téribaze, n’attendirent pas l’infanterie pesante, mais jetèrent de grands cris et coururent sur l’ennemi. Les Barbares, effrayés de ce bruit, prirent la fuite avant d’être chargés par les Grecs ; on leur tua cependant quelques hommes ; on prit environ vingt chevaux et la tente de Téribaze, où étaient des lits à pieds d’argent, des vases destinés aux festins et des esclaves qui se disaient boulangers et échansons de ce Perse. Les généraux grecs qui menaient l’infanterie pesante, apprenant ce qui s’était passé, résolurent de revenir au plus vite au camp d’où ils étaient partis, de peur que la